Tchernobyl: Évaluation des incidences radiologiques et sanitaires
Mise à jour 2002 de Tchernobyl : Dix ans déjà

Chapter VIII
Arrêt de la centrale de Tchernobyl*

L'accord relatif à la construction des tranches de la centrale de Tchernobyl remonte à 1966, date à laquelle l'ex-URSS a décidé de développer la production d'électricité d'origine nucléaire. La conception des réacteurs RBMK date aussi de cette période. Six réacteurs de 1000 MWwe étaient alors programmés.

La tranche 1, qui a commencé à produire de l'électricité en 1977, a été arrêtée en novembre 1996. En décembre1997, il a été décidé de la déclasser.

La tranche 2, raccordée pour la première fois au réseau en décembre 1978, a été arrêtée en 1991 à la suite des dommages provoqués par un incendie. Les autorités nationales ukrainiennes ont décidé sa fermeture définitive en mars 1999.

La tranche 3, démarrée en 1981, a été arrêtée à de nombreuses reprises depuis 1997 pour des opérations de maintenance, d'inspection et de réparation. En juin 2000, les autorités ukrainiennes ont pris la décision de l'arrêter définitivement le 15 décembre 2000.

Les tranches 5 et 6 étaient en construction sur le site lors de l'accident, mais n'ont jamais été achevées.

Après l'accident survenu dans le réacteur 4 et l'incendie subi par le réacteur 2, les pays occidentaux ont tenté de convaincre les autorités ukrainiennes d'arrêter définitivement le réacteur 3. Cet arrêt avait été défini comme une priorité par de nombreux pays dans leurs échanges et leurs accords bilatéraux avec l'Ukraine. Cette pression occidentale s'est cristallisée lorsque le Parlement ukrainien a décidé, en octobre 1993, d'annuler une résolution de 1990, qui recommandait l'arrêt immédiat de tous les chantiers de construction de réacteurs RBMK et la fermeture du site de Tchernobyl. Par la suite, l'Union européenne et l'Ukraine ont conclu, le 20 décembre 1995, un protocole d'accord concernant la fermeture de la centrale de Tchernobyl. En échange de la fermeture définitive de toutes les tranches de ce site, l'Union européenne (dans le cadre du programme TACIS) et les pays occidentaux sont convenus d'apporter un soutien financier à l'Ukraine pour aider ce pays à s'ap-provisionner en électricité et de résoudre les problèmes sociaux résultant de cette fermeture. Le coût des projets a été estimé en 1995 à 2,3 milliards de dollars. Une partie de ces fonds a été consacrée à des modifications du réacteur 3, à la construction d'un bâtiment pour le combustible irradié et à des ateliers de traitement des déchets liquides et solides.

Ultérieurement, de nombreux autres projets relatifs à la modernisation des réacteurs de type VVER ont été examinés avec la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD).

En ce qui concerne la stabilisation du réacteur 4, les analyses de sûreté de l'ensemble des installations décrites dans les paragraphes suivants seront effectuées conjointement. Du côté européen, le consortium Riskaudit, filiale commune de l'IPSN, devenu maintenant IRSN (France), et de la GRS (Allemagne), réalisera ce travail en collaboration avec l'ANPA (Italie) et l'AVN (Belgique), dans le cadre d'un contrat avec l'Union européenne. Du côté ukrainien, cette tâche incombera au Centre scientifique et technique d'Etat pour la sûreté nucléaire et radiologique. Les deux groupes mettront en commun leurs analyses à l'intention de l'Autorité de sûreté ukrainienne (Service de la réglementation nucléaire).

Préparation du démantèlement final de la centrale de Tchernobyl

Il est prévu de construire différentes installations sur le site de Tchernobyl en vue de procéder au démantèlement des réacteurs. Ces installations seront destinées :

  • au stockage du combustible irradié ;
  • au traitement des déchets liquides et solides produits par les opérations de démantèlement ;
  • au stockage des conteneurs de déchets qui en résulteront.

Stockage du combustible irradié

À l'heure actuelle, le combustible irradié provenant des trois réacteurs est entreposé dans les cœurs des réacteurs, dans les piscines attenantes à ces réacteurs et dans un ancien bâtiment de stockage. Une nouvelle installation de stockage à sec faisant appel au procédé Nuhoms, qui a été agréé par la Commission de la réglementation nucléaire des États-Unis, est en construction. Deux autres bâtiments sont en cours de construction. Le premier d'entre eux servira au découpage des crayons combustibles et au stockage des barres de commande. Le second bâtiment sera constitué de cellules modulaires dans lesquelles on placera les conteneurs renfermant du combustible. Chaque cellule accueillera un conteneur. Le refroidissement s'effectuera de manière passive. Il est prévu de construire 256 cellules en l'espace de dix ans. Le financement de cette opération est assuré par la BERD, ainsi que par les sociétés Westinghouse (États-Unis), Bouygues et Campenon Bernard (France), qui sont les entreprises occidentales chargées de l'exécution des travaux pour le compte de l'exploitant de la centrale nucléaire de Tchernobyl.

Le projet a démarré en juin 1999 ; les bâtiments sont en cours de construction et les autorisations d'exploitation devraient être délivrées au début de 2003. Le transfert de l'ensemble des assemblages combustibles devrait s'effectuer au cours des dix prochaines années.

Traitement des effluents liquides

Les effluents liquides, composés principalement de 60Co, 137Cs et 134Cs, sont stockés sur le site dans deux ensembles de cuves. Le premier comprend cinq cuves externes de 5 000 m3 chacune et le second, neuf cuves de 1 000 m3 , installées dans des cellules individuelles. Aujourd'hui, 26 000 m3 de déchets y sont stockés, la capacité totale de l'installation étant de 34 000 m3 .

Le traitement de ces déchets liquides est une opération délicate impliquant la mise en place de boîtes ventilées destinées aux opérations de pompage. Pour les cuves de 5 000 m3 , il sera nécessaire de construire un dispositif de couverture.

Un autre bâtiment, en construction depuis l'an 2000, servira à la transformation de ces déchets liquides en déchets solides. La procédure d'autorisation relative à cette installation devrait être menée à terme d'ici à la fin de 2002. Les opérations de transformation consisteront à mélanger les déchets liquides avec du béton. Les conteneurs solides ainsi obtenus seront entreposés dans un centre de stockage en surface, à proximité du site de Tchernobyl. Tous les effluents produits par les opérations de démantèlement devraient être traités dans ces installations. Il est prévu que les opérations de traitement des effluents liquides s'échelonneront sur une période de dix ans.

Ces bâtiments sont financés par la BERD, Westinghouse (États-Unis), Belgatom (Belgique), SGN (France) et Ansaldo (Italie).

Traitement des déchets solides

Il sera nécessaire de disposer d'une nouvelle installation de traitement des déchets solides. Le fonctionnement des réacteurs a généré des déchets de faible et moyenne activité, composés de métal, de béton, de plastique, de bois et de papier. Aujourd'hui, ces déchets solides sont stockés dans un bâtiment vétuste comprenant trois compartiments, dont les deux premiers (d'un volume de 1 000 m3 chacun) sont vraiment pleins. Le troisième compartiment (1 800 m3 ), qui renferme les déchets les plus contaminés, est rempli à 20 %, ce qui porte à 2 350 m3 environ le volume total des déchets stockés dans cette installation. Actuellement, ces déchets sont recouverts de béton, qui doit être retiré et conditionné lui-même en vue de son évacuation. Cette installation de stockage existante pourra être utilisée pour le conditionnement des déchets, mais à un rythme de 3 m3 par jour seulement.

Les déchets solides produits pendant le démantèlement des réacteurs devront également être traités. Une fois triés, les déchets de faible et moyenne activité seront entreposés sur le site de stockage en surface, à l'extérieur de la zone d'exclusion du site de Tchernobyl.

Les déchets les plus fortement contaminés seront placés dans des conteneurs étanches pour un stockage provisoire, dans l'attente de leur traitement futur. Pour effectuer le conditionnement des déchets, on construira un atelier assurant une production journalière de 20 m3 .

Ces opérations seront financées par l'Union européenne, dans le cadre du programme TACIS. Un appel d'offres a été lancé. La sélection des entreprises occidentales contractantes s'effectuera en vue d'un démarrage des opérations fin 2003 - début 2004. Ces dernières devraient durer au moins cinq ans.

Le sarcophage

A la suite de l'accident, on a examiné plusieurs projets visant à placer une enceinte autour du réacteur endommagé. Le sarcophage, construit en quelques semaines seulement après l'accident, et les risques résiduels potentiels qu'il comporte actuellement, sont décrits en détail dans le chapitre VII. À l'heure actuelle, des travaux sont requis pour renforcer le sarcophage existant, de manière à prévenir ou à limiter les rejets de poussières radioactives et à réduire le risque d'effondrement, que ce soit par un phénomène spontané ou sous l'effet d'une catastrophe naturelle. Sur la base d'une estimation des risques, on a dressé une liste de 15 tâches à effectuer. À ce jour, seules les tâches prioritaires ont été exécutées, dont le renforcement de la cheminée de ventilation commune aux réacteurs 3 et 4 et celui des poutres en béton soutenant le toit.

Un nouveau projet appelé SIP ( »Shelter Implementation Plan  ») a été lancé en 1998, pour une durée de huit ans, par un groupe de travail d'experts en matière de sûreté nucléaire venant des pays du G7 et d'Ukraine. Ce projet est financé par la BERD et son coût est estimé à 760 millions de dollars, dont 50 millions seront apportés par le gouvernement ukrainien.

Deux objectifs principaux ont été assignés à ce projet, à savoir le renforcement du sarcophage et l'amélioration de la protection des travailleurs et de l'environnement. Cinq objectifs subsidiaires ont également été définis :

  • réduction de la probabilité d'effondrement du sarcophage ;
  • atténuation des conséquences d'un effondrement éventuel ;
  • renforcement de la sûreté de l'installation (criticité, gestion de l'eau contaminée, caractérisation des matériaux contenant du combustible résiduel) ;
  • amélioration de la sécurité des travailleurs et de l'environnement ;
  • définition d'une stratégie de sûreté à long terme.

Ce projet est réalisé par un groupe indépendant de l'exploitant de la centrale de Tchernobyl, avec l'assistance d'un organe de gestion du projet comprenant les sociétés Betchel et Battelle (Etats-Unis), ainsi qu'EDF (France). Cet organe a principalement pour mission de définir les tâches élémentaires permettant d'atteindre les objectifs du projet SIP et de solliciter les autorisations nécessaires auprès de l'autorité compétente, à savoir le Service de la réglementation nucléaire d'Ukraine. Une fois encore, ce service bénéficiera, du côté ukrainien, du concours du Centre scientifique et technique d'Etat, ainsi que du soutien d'entreprises occidentales (Scientech et Riskaudit).

Le renforcement des poutres du toit a mobilisé environ 300 travailleurs. La dose collective est estimée, d'après les données ukrainiennes, à 3,5 personnes-Sv, dont 10 % pour la préparation des travaux et 90% pour leur exécution proprement dite. Les travaux préparatoires ont fait intervenir une centaine de personnes, les doses maximales relevées ayant été inférieures à 15 mSv et une dizaine de personnes ayant reçu des doses comprises entre 10 et 15 mSv. Les travaux de renforcement ont impliqué près de 200 travailleurs, dont environ 20 ont reçu des doses comprises entre 30 et 40 mSv.

Les autorités ukrainiennes font valoir qu'aucun travailleur n'a dépassé la dose limite fixée pour ces opérations, à savoir 40 mSv. L'objectif en matière de dose collective pour les quinze tâches prévues par le projet SIP est de 25 personnes-Sv. Une attention particulière est accordée à la surveillance de la contamination interne des travailleurs.

Base de données relatives au sarcophage

Dans le cadre de « l'Initiative franco-allemande  », l'IRSN (France) et la GRS (Allemagne) ont collaboré avec l'exploitant de la centrale nucléaire de Tchernobyl, le Centre international pour la science et la technique de l'Académie ukrainienne des sciences, l'Institut national ukrainien de l'ingénierie et de la science et l'Institut Kourtchatov de Moscou à l'établissement d'une base de données sur  »l'état de santé  »du sarcophage.

Cette base de données permettra de parvenir plus facilement à une meilleure estimation des risques radiologiques à l'intérieur et à l'extérieur du bâtiment endommagé et de valider les recommandations actuelles en matière de radioprotection. Elle sera utilisée par les exécutants du projet SIP. Une fois achevée, elle permettra aux travailleurs et aux planificateurs de réaliser une visite virtuelle du sarcophage et de ses environs immédiats. Cette base de données porte sur :

  • la construction et les équipements du sarcophage, ainsi que les nouvelles infrastructures annexes ;
  • la situation radiologique à l'intérieur du sarcophage (Institut Kourtchatov) ;
  • la situation radiologique au voisinage du sarcophage (Centre international pour la science et la technique) ;
  • la collecte de données sur les quantités, la qualité et les caractéristiques des matières radioactives à l'intérieur du sarcophage (Institut Kourtchatov).

La première version de cette base de données a été transmise au Centre de Tchernobyl en juin 1999.

Les conséquences sociales

Une grande partie des 7 000 travailleurs du site réside à Slavoutich, ville située à 50 km à l'est de Tchernobyl. L'arrêt définitif de l'exploitation des tranches de la centrale de Tchernobyl réduira d'environ 2 000 personnes les besoins en main-d'œuvre sur le site.

La fermeture du site de Tchernobyl constituera une nouvelle épreuve pour cette région, qui a déjà lourdement souffert du fait de l'accident. Les conséquences d'ordre social, économique et individuel que la perte d'emplois sur le site de la centrale aura pour les personnes, les villes et la région concernés devraient être étudiées et prises en compte dans toute solution définitive qui sera apportée à cette situation.