Tchernobyl: Évaluation des incidences radiologiques et sanitaires
Mise à jour 2002 de Tchernobyl : Dix ans déjà

Chapitre VI
Incidences sur l'agriculture et l'environnement

Conclusions
(Les conclusions apparaîtront dans une nouvelle fenêtre)

 

Agriculture

Où que l'on soit dans le monde, tous les sols utilisés pour l'agriculture contiennent des radionucléides en plus ou moins grande quantité. Les sols types (IA89a) renferment de l'ordre de 300 kBq/m3 de 40K jusqu'à une profondeur de 20 cm. Ce radionucléide et d'autres sont alors absorbés par les cultures, puis transférés aux denrées alimentaires, d'où une concentration comprise entre 50 et 150 Bq/kg dans les denrées alimentaires et les aliments pour animaux. L'ingestion de radionucléides dans les denrées alimentaires est l'une des voies conduisant à la rétention interne et contribue à l'exposition de l'homme par des sources naturelles et artificielles. Une contamination excessive des terres agricoles, comme celle susceptible de se produire lors d'un accident grave, peut se traduire par des niveaux inacceptables de radionucléides dans les denrées alimentaires.

Les contaminants radioactifs présentant le plus d'importance dans l'agriculture sont ceux qui sont relativement fortement absorbés par les cultures, ont des taux élevés de transfert aux produits d'origine animale, tels que le lait et la viande, et ont des périodes radioactives relativement longues. Cependant, les voies de transfert écologique entraînant la contamination des cultures, de même que le comportement radioécologique des radionucléides, constituent des processus complexes qui sont influencés non seulement par les propriétés physiques et chimiques des radionucléides, mais aussi par des facteurs tels que le type de sol, le système de culture (y compris le sarclage), le climat, la saison et, le cas échéant, la période biologique chez les animaux. Les principaux radionucléides dont il y a lieu de se préoccuper dans l'agriculture à la suite d'un important accident nucléaire sont 131I, 137Cs, 134Cs et 90Sr (IA89a). Le dépôt direct sur les plantes représente la principale source de contamination des produits agricoles dans les régions tempérées.

Bien que les isotopes radioactifs du césium et 90Sr soient relativement immobiles dans le sol, l'absorption par les racines revêt moins d'importance que le dépôt sur les plantes. Cependant, tant le type de sol (notamment en ce qui concerne la composition minérale de l'argile et la teneur en matières organiques) que les pratiques agricoles et le climat influent sur la tendance au transfert vers les eaux souterraines. Les mêmes facteurs influent sur la présence de ces éléments dans les plantes, dans la mesure où ils contrôlent les concentrations d'activité dans les solutions aqueuses des sols. En outre, étant donné que le césium et le strontium sont absorbés par les plantes selon le même mécanisme que le sont respectivement le potassium et le calcium, l'ampleur de leur absorption dépend de la présence de ces éléments. Ainsi, un taux élevé d'utilisation d'engrais au potassium permet de réduire l'absorption du césium, tandis que le chaulage peut réduire l'absorption du strontium.

À l'intérieur de l'ex-URSS

Les rejets intervenus au cours de l'accident de Tchernobyl ont contaminé, au Bélarus, en Russie et en Ukraine, une superficie d'environ 125 000 km2, avec des niveaux de césium radioactif supérieurs à 37 kBq/m2, et d'environ 30 000 km², avec des niveaux de strontium radioactif supérieurs à 10 kBq/m2. Près de 52 000 km2 de cette superficie étaient utilisés à des fins agricoles, le reste étant constitué par des forêts, des plans d'eau et des agglomérations urbaines (Ri95). Bien que la pénétration du césium dans le sol soit généralement lente (Bo93), notamment dans les forêts et les sols tourbeux, elle est extrêmement variable et dépend de nombreux facteurs tels que le type de sol, le pH, les précipitations et les pratiques agricoles. Les radionucléides sont en général enfermés dans des particules entourées d'une matrice composée de dioxyde d'uranium, de graphite, d'alliages fer-céramique, de silicates-terres rares et de mélanges silicatés de ces matières. Les mouvements de ces radionucléides dans les sols dépendent non seulement des caractéristiques du sol, mais aussi de la décomposition chimique par oxydation de ces complexes, alors libérés sous des formes plus mobiles. L'ensemble des produits de fission se répartit entre les parties organominérales et minérales du sol, principalement dans des complexes humiques. La situation dans la zone d'exclusion de 30 km s'est sensiblement améliorée, grâce, d'une part, aux processus naturels et, d'autre part, aux mesures de décontamination adoptées.

Il y a eu également de grandes variations dans les niveaux de dépôt. Au cours de 1991, les concentrations de 137Cs dans la couche de sol située à une profondeur de 0 à 5 cm étaient comprises entre 25 et 1 000 kBq/m3 et étaient plus élevées dans les pâturages naturels que dans ceux ayant été labourés. Dans le cas de tous les sols, il est apparu que de 60 à 95 % de la totalité de 137Cs étaient fortement liés aux composants du sol (Sa94). Le labourage ordinaire disperse les radionucléides de façon plus régulière à travers le profil du sol, ce qui réduit la concentration d'activité dans la couche de 0 à 5 cm et l'absorption par les racines des cultures. Cependant, il propage la contamination dans tout le sol, aussi l'enlèvement et l'évacuation de la couche supérieure du sol peuvent-ils constituer une stratégie de décontamination appropriée.

Le problème au cours de la phase initiale d'un accident tient à ce que les contre-mesures destinées à éviter l'exposition de l'homme sont de caractère restrictif et doivent souvent être imposées dans l'immédiat, même avant que les niveaux de contamination soient effectivement mesurés et connus. Ces mesures consistent notamment à mettre fin aux travaux des champs, à la consommation de légumes frais, au pâturage des animaux et au picotage de la volaille, ainsi qu'à introduire du fourrage non contaminé. Malheureusement, ces mesures n'ont pas été appliquées immédiatement et les doses reçues par l'homme s'en sont trouvées accrues en Ukraine (Pr95).

En outre, certaines mesures initiales extrêmes ont été adoptées au cours des tous premiers jours de l'accident, 15 000 vaches ayant été abattues en Ukraine, quel qu'ait été leur niveau de contamination, alors que l'introduction de fourrage propre aurait pu réduire au minimum l'incorporation de césium radioactif. D'autres contre-mesures, telles que l'utilisation d'engrais potas-siques, ont diminué l'absorption de césium radioactif d'un facteur 2 à 14, tout en accroissant le rendement des récoltes.

Dans certains sols podzoliques, la chaux associée à du fumier et à des engrais minéraux peut réduire d'un facteur 30 l'accumulation de césium radioactif dans certaines céréales et légumineuses. Dans les sols tourbeux, l'application de sable et d'argile peut diminuer le transfert du césium radioactif dans les plantes en le fixant plus solidement dans le sol. La teneur en césium radioactif du bétail destiné à la consommation humaine peut être réduite au minimum grâce à l'introduction par étapes d'aliments propres pendant dix semaines environ avant l'abattage. Une mesure de bon sens, qui consiste à réserver la production de denrées alimentaires critiques aux zones les moins contaminées, peut s'avérer efficace.

En 1993, la concentration de 137Cs dans la viande de bovins provenant du kolkhoze de la région de Sarny, où des contre-mesures ont pu être mises en œuvre de façon efficace, était en général bien inférieure à celle relevée dans la viande provenant d'exploitations agricoles privées de la région de Dubritsva (Pr95). La viande des animaux sauvages qui ne pouvait être soumise aux mêmes contre-mesures présentait d'ordinaire une forte concentration de césium radioactif. La décontamination des animaux par l'administration de comprimés à base de bleu de Prusse s'avère très efficace lorsque la teneur en césium radioactif des aliments est élevée et qu'il peut être difficile d'introduire du fourrage propre (Al93). Suivant les conditions locales, plusieurs des contre-mesures agricoles décrites ci-dessus ont été introduites en vue de réduire la raadioexposition de l'homme.

Depuis le mois de juillet 1986, le débit de dose dû à l'irradiation externe dans certaines zones a diminué d'un facteur 40 et, en certains endroits, il représente moins de 1 % de sa valeur initiale. Néanmoins, la contamination du sol par 137Cs, 90Sr et 239Pu demeure élevée et au Bélarus, qui est la république la plus largement contaminée, la superficie des terres agricoles dont l'utilisation était interdite s'élevait, huit après l'accident, à 2 640 km² (Be94). Dans un rayon de 40 km autour de la centrale, ce sont encore 2 100 km² de terres dans la réserve naturelle de l'Etat de Poles qu'il est interdit d'utiliser, probablement pour une durée indéfinie.

L'absorption du plutonium contenu dans le sol par les parties des plantes se trouvant à la surface constitue en général, pour la santé de la population, un faible risque associé à l'ingestion de légumes. Elle ne pose de problème que dans les zones fortement contaminées, où des légumes à racines et tubercules sont consommés, notamment si ceux-ci ne sont pas lavés et pelés. La teneur totale des principaux contaminants radioactifs dans la zone de 30 km a été évaluée à 4,4 PBq pour 137Cs, à 4 PBq pour 90Sr et à 32 TBq pour 239Pu et 240Pu.

Cependant, il n'est pas possible de prévoir le taux de réduction de cette contamination car celui-ci dépend d'un très grand nombre de facteurs variables, de sorte que des restrictions à l'utilisation des sols continuent à s'imposer dans les régions les plus contaminées du Bélarus, de l'Ukraine et de la Russie. Dans ces régions, ces restrictions ne seront vraisemblablement pas levées dans un avenir prévisible. On ignore s'il sera un jour possible de revenir dans la zone d'exclusion de 30 km ou s'il y aura quelque possibilité d'utiliser ces terres à d'autres fins, telles que le pâturage des animaux reproducteurs ou la culture hydroponique (A193). Cependant, il faut admettre qu'un petit nombre d'habitants de cette zone, généralement des personnes âgées, y sont revenus avec la tolérance officieuse des autorités

En Europe

En Europe, on a observé une variation analogue dans la pénétration de 137Cs, soit qu'il ait été pendant des années étroitement lié à la couche superficielle des sols dans les prairies (Bo93), soit qu'il ait migré en profondeur relativement rapidement dans les zones sablonneuses ou marécageuses (EC94). Par exemple, le dépôt le plus important a été observé en Suisse, à Caslano (TI), où la teneur du sol en 137Cs a été ramenée à 42 % de sa valeur initiale au cours des six années suivant l'accident, ce qui témoigne d'une lente pénétration du césium dans le sol (OF93). A cet endroit, 137Cs provenant de l'accident n'a pas pénétré à une profondeur supérieure à 10 cm, alors que les retombées provenant des essais d'armes nucléaires dans l'atmosphère ont atteint une profondeur de 30 cm.

Au Royaume-Uni, des restrictions ont été imposées au mouvement et à l'abattage de 4,25 millions de moutons dans certaines régions du sud-ouest de l'Ecosse, du nord-est de l'Angleterre, du nord du Pays de Galles et de l'Irlande du Nord. L'introduction de ces mesures était due en grande partie à l'absorption par les racines de césium relativement mobile provenant de sols tourbeux ; cependant, comme l'étendue de la zone touchée et le nombre de moutons faisant l'objet de telles mesures sont allés en diminuant, en janvier 1994 ces restrictions ne s'appliquaient plus qu'à quelque 438 000 moutons. Dans le nord-est de l'Ecosse (Ma89), où les agneaux paissaient dans des zones contaminées, leur activité a été ramenée à 13 % environ des valeurs initiales après 115 jours ; là où les animaux consommaient des aliments non contaminés, elle est tombée à 3,5 % environ. Des restrictions à l'abattage et à la commercialisation des moutons, et des rennes également, demeurent en vigueur dans certains pays nordiques.

Les niveaux moyens régionaux de 137Cs dans le régime alimentaire des citoyens de l'Union européenne, qui constituaient la principale source d'exposition après la première phase de l'accident, ont baissé au point qu'à la fin de 1990 ils se rapprochaient des niveaux d'avant l'accident (EC94). En Belgique, la charge corporelle moyenne de 137Cs mesurée chez des adultes de sexe masculin a augmenté après le mois de mai 1986 pour atteindre sa valeur maximale vers la fin de 1987, soit plus d'un an après l'accident. Ceci reflétait l'ingestion de denrées alimentaires contaminées. La période écologique mesurée a été d'environ 13 mois. Une tendance analogue a été signalée en Autriche (Ha91).

En résumé, on observe, dans les sols utilisés à des fins agricoles, une réduction continue, mais lente, du niveau d'activité de 137Cs principalement.

Environnement

Les forêts

Les forêts sont des écosystèmes extrêmement divers, dont la flore et la faune dépendent des relations complexes existant aussi bien entre elles qu'avec le climat, les caractéristiques du sol et la topographie. Les forêts peuvent être non seulement un site d'activités de loisir, mais aussi un lieu de travail et une source de denrées alimentaires. Le gibier sauvage, les baies et les champignons constituent une source d'alimentation supplémentaire pour de nombreux habitants des régions contaminées. Le bois et les produits du bois représentent une ressource économique viable.

En raison du fort caractère filtrant des arbres, le dépôt a souvent été plus important dans les forêts que dans les zones agricoles. Lorsque les voies de transfert écologique propres aux forêts sont contaminées, il s'ensuit souvent une rétention accrue des radionucléides contaminants. La teneur élevée en matières organiques et la stabilité du sol des forêts accroissent le transfert des radionucléides du sol aux espèces végétales ; ainsi, les lichens, mousses et champignons présentent souvent de fortes concentrations de radionucléides. Le transfert de radionucléides au gibier sauvage dans cet environnement pourrait soumettre à une exposition inacceptable certaines personnes qui sont largement tributaires de ce gibier pour leur alimentation. C'est ce qui est apparu en Scandinavie, où la viande de renne a dû être contrôlée. Dans d'autres régions, les champignons ont été gravement contaminés par le césium radioactif.

En 1990, les forestiers de Russie avaient, selon les estimations, reçu une dose jusqu'à trois fois plus élevée que les autres personnes résidant dans la même zone (IA94). En outre, il a été démontré que certaines industries fondées sur les produits de la forêt, telles que la production de pâte à papier, qui recyclent souvent des produits chimiques, étaient susceptibles de poser un problème de radioprotection en raison de l'accroissement de la quantité de radionucléides présents dans les liquides, les boues et les cendres. Cependant, la culture des arbres pour la production de pâte à papier peut constituer une stratégie appropriée pour la décontamination des forêts (Ho95).

Différentes stratégies ont été élaborées en vue de lutter contre la contamination des forêts. Parmi les plus efficaces figurent les restrictions d'accès et la prévention des incendies de forêt.

Un site particulièrement touché, appelé la  »forêt rousse  »(Dz95), est situé au sud et à l'ouest de la centrale, à faible distance de cette dernière. Dans cette forêt de pins, les arbres ont reçu des doses atteignant 100 Gy, ce qui les a tous détruits. Une superficie d'environ 375 hectares a été gravement contaminée et, en 1987, des mesures correctives ont été prises en vue de réduire la contamination du sol et d'empêcher la dispersion des radionucléides par les incendies de forêt. La couche supérieure du sol a été enlevée sur une profondeur de 10 à 15 cm et les arbres morts ont été coupés. Ces déchets ont été placés dans des tranchées et recouverts de sable. Un volume total d'environ 100 000 m3 a été enterré, ce qui a réduit la contamination du sol au moins d'un facteur 10.

Ces mesures, conjuguées à d'autres stratégies de prévention des incendies, ont sensiblement diminué la probabilité de dispersion des radio-nucléides par des incendies de forêt (Ko90). Le traitement chimique des sols visant à réduire au minimum l'absorption de radionucléides par les végétaux peut offrir une solution intéressante et, comme on l'a constaté, le traitement du bois contaminé de manière à obtenir des produits moins contaminés peut s'avérer efficace, à condition que des mesures soient prises pour surveiller les sous-produits.

L'évolution des modes de gestion et d'utilisation des forêts peut aussi contribuer à réduire les doses. L'interdiction ou la limitation du ramassage de denrées alimentaires et le contrôle des produits de la chasse peuvent protéger les personnes qui en consomment habituellement de grandes quantités. Des mesures destinées à éliminer la poussière, telles que le reboisement et la conversion en herbe, ont aussi été prises à une grande échelle en vue d'empêcher la propagation de la contamination existante des sols.

Les plans d'eau

Lors d'un accident, les radionucléides contaminent les plans d'eau, non seulement directement par dépôt à partir de l'air et par évacuation sous forme d'effluents, mais aussi indirectement par lessivage à partir du bassin de collecte des eaux. Les radionucléides contaminant de grandes masses d'eau sont rapidement redistribués et ont tendance à s'accumuler dans les sédiments du fond, le benthos, les plantes aquatiques et les poissons. Les principales voies d'exposition potentielle de l'homme peuvent être soit directes, du fait de la contamination de l'eau de boisson, soit indirectes, du fait de l'utilisation de l'eau pour l'irrigation et de la consommation de poissons contaminés. Etant donné que les radionucléides contaminants ont tendance à disparaître rapidement de l'eau, ce n'est que pendant la phase initiale et la toute dernière phase des retombées, lorsque la contamination issue de la zone de collecte des eaux par lessivage atteint le réseau d'alimentation en eau de boisson, que l'homme est susceptible d'être exposé. Au cours de la première phase de l'accident de Tchernobyl, la composante aqueuse des doses individuelles et collectives qui peut être attribuée aux plans d'eau n'a pas dépassé, selon les estimations, 1 ou 2 % de l'exposition totale imputable à l'accident (Li89). La piscine de désactivation de Tchernobyl était le plan d'eau le plus fortement contaminé de la zone d'exclusion.

Une contamination radioactive de l'écosystème des cours d'eau (voir chapitre II) a été observée peu après l'accident, l'activité totale de l'eau au mois d'avril et au début du mois de mai 1986 s'élevant à 10 kBq/l dans la Pripiat, à 5 kBq/l dans l'Uzh et à 4 kBq/l dans le Dniepr. A l'époque, les principaux vecteurs étaient des radionucléides à courte période, tels que 131I. Lorsque l'écosystème des cours d'eau s'est écoulé dans les bassin de retenue de Kiev, puis de Kanev et de Krementchoug, la contamination de l'eau, des sédiments, des algues, des mollusques et des poissons a sensiblement régressé.

En 1989, la teneur en 137Cs de l'eau des bassins de Kiev, de Kanev et de Krementchoug était évaluée respectivement à 0,4 Bq/l, 0,2 Bq/l et 0,05 Bq/l. De même, la teneur en 137Cs des poissons de la Bream a diminué d'un facteur 10 entre les bassins de Kiev et de Kanev et d'un facteur 2 entre les bassins de Kanev et de Krementchoug, pour s'établir à environ 10 Bq/kg (Kr95). Au cours de la dernière décennie, la contamination du réseau d'alimentation en eau n'a pas soulevé de problème pour la santé publique. Cependant, une surveillance continuera à s'imposer, afin de veiller à ce que le lessivage à partir de la zone de collecte des eaux, dans laquelle une grande quantité de déchets radioactifs sont déposés, ne contamine pas l'eau de boisson.

Selon une étude hydrogéologique de la contamination des eaux souterraines dans la zone d'exclusion de 30 km (Vo95), 90Sr est le radionucléide le plus critique qui risque d'entraîner, dans les 10 à 100 ans à venir, une contamination de l'eau de boisson dépassant les limites admissibles.

En dehors de l'ex-URSS, la contamination directe et indirecte des lacs a soulevé et soulève encore de nombreux problèmes car les niveaux de contamination des poissons dans les lacs dépassent ceux admis pour la vente sur le marché libre. En Suède, par exemple, dans près de 14 000 lacs (soit 15 % environ de l'ensemble des lacs suédois), les concentrations de césium radioactif dans les poissons étaient, en 1987, supérieures à 1 500 Bq/kg (limite fixée en Suède pour la vente de poissons d'eau douce). La période écologique, qui dépend des espèces de poissons et des types de lacs, est comprise entre quelques années et quelques dizaines d'années (Ha91).

Dans les pays de l'Union européenne, la teneur en 137Cs de l'eau de boisson, qui a fait l'objet d'échantillonnages réguliers, a accusé des niveaux égaux ou inférieurs à 0,1 Bq/l de 1987 à 1990 (EC94), lesquels ne suscitent pas de préoccupation dans le domaine de la santé. La concentration d'activité dans l'eau a sensiblement diminué pendant les années qui ont suivi l'accident, en grande partie du fait de la fixation du césium radioactif dans les sédiments.

Seize ans plus tard

Plus de seize ans après l'accident, la radioexposition des populations est principalement imputable à la consommation de produits agricoles contaminés par 137Cs. À l'heure actuelle, la production se fonde sur les critères suivants :

  • Le niveau de contamination des denrées alimentaires ne devrait pas entraîner de doses individuelles moyennes supérieures à 1 mSv par an.
  • La production de ces denrées ne devrait pas impliquer un surcoût, que ce soit en termes économiques ou sociaux.
  • Même si les doses que certains grands groupes de population peuvent recevoir à partir de ces denrées alimentaires contaminées sont faibles, il conviendrait d'évaluer la dose collective et l'excès de risque.

En Ukraine, dans la plupart des territoires contaminés, l'agriculture produit des denrées alimentaires conformes aux limites fixées le 25 juin 1997, à savoir : 100 Bq/l pour les produits laitiers, 200 Bq/kg pour la viande, 20 Bq/kg pour les pommes de terre et le pain. Actuellement, les niveaux de contamination du lait se situent autour de 50 Bq/l.

Cependant, il existe de grandes disparités dans la production ukrainienne et certaines exploitations agricoles privées continuent à produire du lait dont le niveau de contamination dépasse celui fixé par les nouvelles limites. Cette situation est due au pâturage des animaux dans des prairies contaminées et aux grandes variations des coefficients de transfert du césium (de 1 à 20) suivant la composition chimique des sols. Certains experts prévoient que la fixation du césium dans les sols au cours des quatre à huit années à venir suffira à prévenir une augmentation de la contamination des denrées alimentaires, mais d'autres prévisions semblent plus pessimistes (Sm00).

En Ukraine, les 8,4 millions d'hectares de terres agricoles qui sont contaminés par 137Cs et soumis à des contre-mesures, fondées le plus souvent sur l'emploi d'engrais, se répartissent comme suit :

  • Une superficie de 54 900 hectares située dans la zone d'exclusion et une superficie de 35 600 hectares avec des niveaux de contamination supérieurs à 555 kBq/m², sur lesquelles toute activité agricole est interdite.
  • Une superficie de 130 800 hectares, avec des niveaux de conta-mination allant de 185 à 555 KBq/m², y compris 15 000 hectares de tourbière où le transfert du césium aux plantes est le plus élevé.
  • Une superficie de 1,1 million d'hectares, avec des niveaux de contamination allant de 37 à 185 kBq/m², y compris 99 500 hectares de tourbière.
  • Une superficie de 7 238 millions d'hectares, avec des niveaux de contamination compris entre 3,7 et 37 kBq/m².

On a défini une zone d'exclusion de près de 4 000 km2, incluant une zone circulaire de 30 km environ de rayon autour du réacteur. Les zones touchées occupent 2 100 km2 au Bélarus, 2 040 km2 en Ukraine et 170 km2 dans la Fédération de Russie. Toutes les activités agricoles, de même que le transfert de produits, y sont interdits. Cependant, des études sont en cours afin de déterminer la façon dont les parties les moins contaminées de cette zone d'exclusion pourraient être utilisées.

En dehors de cette zone, 1,4 million de personnes résident sur 30 000 km² de terres où les niveaux de contamination dépassent 185 kBq/m2, et 130 000 personnes vivent dans des zones où ces niveaux sont supérieurs à 555 kBq/m2. La vie est considérée comme normale dans les territoires où la dose annuelle est inférieure à 1 mSv par an. Lorsque cette dose dépasse 1 mSv par an, les habitants reçoivent des compensations sociales.

En Russie, certains districts ont perdu leur statut de zone contaminée en janvier 1998 et cette décision a été mal accueillie par les populations concernées.

La quantité de produits agricoles dont la contamination dépasse les limites fixées pour les échanges commerciaux par l'Ukraine, la Russie et la Biélorussie est maintenant très faible, malgré les nouvelles limites restrictives édictées par l'Ukraine en 1997 (100 Bq/kg pour le lait, 200 Bq/kg pour la viande, 20 Bq/kg pour le pain et les pommes de terre). Il apparaît actuellement que l'effet conjugué des transferts à partir du sol, de la demi-vie physique de 137Cs et de l'efficacité des contre-mesures pourrait permettre d'aboutir, dans les quatre à huit années à venir, à une production agricole dont le niveau de contamination soit inférieur aux limites fixées. Cela signifie que, 20 à 25 ans après l'accident, la production de denrées alimentaires pourrait ne plus être soumise à aucune restriction.

Au début de 2001, 2 217 villes sont encore sous contrôle radiologique en Ukraine. En fait, seules 1 316 d'entre elles nécessitent des contrôles permanents, mais les habitants des 901 villes restantes refusent le retrait du statut de zone contaminée car celui-ci pourrait entraîner la suppression des compensations sociales et financières.

Dans la zone d'exclusion, les incidences sur la faune et sur la flore se caractérisent par le dépôt extrêmement hétérogène de particules radioactives, qui est à l'origine d'une plage très étendue de doses d'exposition pour le biote. Dans certains cas, même dans de très petites zones géographiques, ces incidence pouvaient différer d'un ordre de grandeur (IA01).

Certaines conséquences de l'accident pour les plantes naturelles et les populations animales sont conditionnées par des facteurs écologiques secondaires résultant d'une évolution des activités humaines. Par exemple, l'interdiction de chasser modifie les espèces d'oiseaux et leur nombre. D'une manière générale, le nombre d'animaux a fortement augmenté par rapport aux zones habitées limitrophes. Ces conditions favorables pour un grand nombre d'espèces mammifères faisant l'objet d'une chasse commerciale seront préservées (IA01).

Le transfert des radionucléides par l'eau et le vent et par des conditions météorologiques saisonnières extrêmes n'a pas entraîné de contamination à long terme au-delà de la zone d'exclusion. À l'intérieur de cette zone, il est prévu qu'à l'avenir la contamination radioactive diminuera lentement par la voie de la décroissance radioactive.

La surface de la zone d'exclusion couverte par des conifères et des arbres à feuilles caduques augmentera pour atteindre 65 à 70 % de l'ensemble de cette zone. Les surfaces de prairies et de terres marécageuses diminueront notable-ment en conséquence et seront remplacées progressivement par des forêts. Ces modifications entraînent la constitution d'une couche de végétation stable et résistante au feu. En liaison avec la destruction des réseaux de drainage, le niveau des eaux souterraines ne manquera pas de s'élever (IA01).

Depuis l'accident, le commerce du bois est réglementé. Selon l'usage prévu, les niveaux fixés pour la commercialisation vont de 740 à 11 000 Bq de 137Cs par kg. Du fait de cette nouvelle réglementation, 30 % des pins situés dans la zone d'exclusion sont inutilisables.

En résumé

  • De nombreuses contre-mesures visant à lutter contre la contamination des produits agricoles ont été appliquées avec plus ou moins de succès. Néanmoins, à l'intérieur de l'ex-URSS, l'utilisation de grandes superficies de terres agricoles est toujours interdite et le sera encore vraisemblablement pendant longtemps. Dans une zone beaucoup plus étendue, bien que des activités agricoles et d'élevage continuent à être exercées, les denrées alimentaires produites sont soumises à des contrôles rigoureux et des restrictions sont imposées à leur commercialisation et à leur usage.

  • Des problèmes analogues, encore que beaucoup moins graves, sont apparus dans certains pays d'Europe extérieurs à l'ex-URSS, où les produits de l'agriculture et ceux provenant des animaux d'élevage ont été soumis à des contrôles et à des limitations pendant des durées variables à la suite de l'accident. Ces restrictions ont, pour la plupart, été levées il y a plusieurs années. Cependant, il subsiste actuellement certaines régions d'Europe où des restrictions sont encore imposées à l'abattage et à la commercialisation des animaux. Cette remarque s'applique, par exemple, à plusieurs centaines de milliers de moutons au Royaume-Uni et à un très grand nombre de moutons et de rennes dans certains pays nordiques.

  • Il se peut que les produits de la forêt, comme les champignons, les baies et le gibier sauvage, continuent à poser un problème de radioprotection pendant longtemps. Désormais, la contamination radioactive diminuera lentement par la voie de la décroissance radioactive.

  • À l'heure actuelle, l'eau de boisson ne soulève pas de problème, alors que la contamination des eaux souterraines, notamment par 90Sr, pourrait devenir problématique à l'avenir dans les bassins de collecte des eaux situés en aval de la région de Tchernobyl.

  • Le poisson contaminé provenant des lacs pourra constituer un problème à long terme dans certains pays.

  • Cependant, les programmes de réaménagement de l'environnement doivent créer des conditions suffisamment attrayantes pour inciter une main-d'œuvre jeune, en particulier des ingénieurs et des ouvriers qualifiés, à revenir sur les lieux. Il est nécessaire, et tout à fait possible, de créer des conditions dans lesquelles la contamination de l'environnement n'oblige pas à interdire la consommation d'importants éléments constitutifs du régime alimentaire.