Tchernobyl: Évaluation des incidences radiologiques et sanitaires
Mise à jour 2002 de Tchernobyl : Dix ans déjà

Chapitre II
Le rejet, la dispersion, le dépôt et le comportement des radionucléides

Conclusions
(Les conclusions apparaîtront dans une nouvelle fenêtre)

Le terme source

Le « terme source  » est une expression technique utilisée pour décrire le rejet accidentel de matières radioactives à partie d'une installation nucléaire dans l'environnement. Ce ne sont pas seulement les niveaux de radioactivité libérée qui sont importants, mais aussi leur répartition dans le temps ainsi que les formes chimiques et physiques de ces matières. L'estimation initiale du terme source reposait sur le prélèvement d'échantillons dans l'air et sur la prise en compte du dépôt au sol évalué dans ce qui était alors l'URSS. Ce fait est apparu clairement à la réunion d'experts techniques pour l'analyse de l'accident de Tchernobyl organisée par l'AIEA en août 1986 (IA86), lorsque les experts soviétiques ont exposé leurs résultats, mais il a été suggéré au cours des débats que l'estimation de rejet totale serait nettement plus élevée s'il était tenu compte du dépôt hors du territoire de l'URSS. Les évaluations ultérieures corroborent ce point de vue, tout particulièrement pour les radio-nucléides du césium (Wa87, Ca87, Gu89). Les estimations initiales ont été présentées sous forme de fraction de l'inventaire du coeur pour les radionucléides importants et également sous forme d'activité totale libérée.

Rejets dans l'atmosphère

Lors de l'évaluation initiale des rejets effectuée par les experts soviétiques et présentée à la réunion d'experts techniques pour l'analyse de l'accident de Tchernobyl organisée par l'AIEA à Vienne (IA86), on a estimé que la totalité de l'inventaire du cœur en gaz rares (xénon et krypton) s'était échappée, ainsi que 10 à 20 % des formes les plus volatiles de l'iode, du tellure et du césium. En ce qui concerne le combustible rejeté dans l'environnement, l'estimation initiale était de 3 ± 1,5 % (IA86). Cette estimation est ensuite passée à 3,5 ± 0,5 % (Be91), ce qui correspond à l'émission de 6 t de combustible fragmenté.

Le Groupe consultatif international pour la sûreté nucléaire (INSAG) de l'AIEA a diffusé en 1986 son rapport récapitulatif (IA86a), qui se fonde sur les informations présentées par les experts soviétiques à la réunion pour l'analyse de l'accident de Tchernobyl. À cette époque, on estimait que de 1 à 2 exabecquerels [Ebq] avaient été libérés. Ce chiffre n'incluait pas les gaz rares et comportait une marge d'erreur évaluée à ± 50 %. Ces estimations du terme source reposaient uniquement sur le dépôt estimé de radionucléides sur le territoire de l'URSS et ne pouvaient pas tenir compte du dépôt en Europe et ailleurs, car les données n'étaient alors pas disponibles.

Cependant, on a pu disposer d'un plus grand nombre de données sur le dépôt (Be90) lorsque, dans son rapport de 1988 (UN88), le Comité scientifique des Nations Unies pour l'étude des effets des rayonnements ionisants (UNSCEAR) a fourni des chiffres relatifs aux rejets qui se fondaient non seulement sur les données soviétiques, mais aussi sur le dépôt dans l'ensemble du monde. Le rejet total de 137Cs a alors été évalué à 70 pétabecquerels [PBq], dont 31 PBq étaient déposés en URSS.

Les analyses effectuées par la suite sur les débris du coeur et les matières déposées à l'intérieur du bâtiment réacteur ont fourni une évaluation indépendante des rejets dans l'environnement. Selon les estimations tirées de ces études, la fraction de 137Cs rejetée a été de 20 à 40 % (85 ± 26 PBq), compte tenu d'une fraction moyenne du combustible rejeté de 47 %, avec rétention ultérieure de la fraction restante à l'intérieur du bâtiment réacteur (Be91). Ces estimations ont été confirmées à la suite d'un examen approfondi des nombreux rapports (IA86, Bu93). Dans le cas de 131I, on a considéré que l'estimation la plus précise était comprise entre 50 et 60 % de l'inventaire de 3 200 PBq contenu dans le cœur. Les estimations actuelles du terme source (De95) sont récapitulées au tableau 1.

Du point de vue radiologique, 131I et 137Cs sont les principaux radionucléides à prendre en considération car ils sont à l'origine de la majeure partie de la radioexposition à laquelle la population a été soumise.

La répartition des rejets dans le temps est bien illustrée sur la figure 3 (Bu93). L'important rejet initial était surtout imputable à la fragmentation mécanique du combustible au cours de l'explosion. Il contenait principalement les radionucléides les plus volatils, tels que les gaz rares, les iodes et une certaine quantité de césium. Le deuxième rejet important, survenu entre le septième et le dixième jour, était associé aux températures élevées atteintes lors de la fusion du coeur. La forte baisse des rejets observée après dix jours est peut-être imputable à un refroidissement rapide du combustible à mesure que les débris du cœur traversaient par fusion le bouclier inférieur et réagissaient avec d'autres matières dans le réacteur. Bien que de nouveaux rejets se soient probablement produits après le 6 mai, ils ne paraissent pas avoir été importants.

Tableau 1. Estimation actuelle des rejets de radionucléides au cours de l'accident de Tchernobyl (De95, version modifiée)

Inventaire du cœur le 26 avril 1986

Rejet total au cours de l'accident

         

Nucléide

Période radioactive

 

Activité (PBq)

Pourcentage de l'inventaire

Activité (PBq)

33Xe

5.3 d

6 500

100

6500

131I

8.0 d

3 200

50 - 60

~1760

134Cs

2.0 y

180

20 - 40

~54

137Cs

30.0 y

280

20 - 40

~85

132Te

78.0 h

2 700

25 - 60

~1150

89Sr

52.0 d

2 300

4 - 6

~115

90Sr

28.0 y

200

4 - 6

~10

140Ba

12.8 d

4 800

4 - 6

~240

95Zr

1.4 h

5 600

3.5

196

99Mo

67.0 h

4 800

>3.5

>168

103Ru

39.6 d

4 800

>3.5

>168

106Ru

1.0 y

2 100

>3.5

>73

141Ce

33.0 d

5 600

3.5

196

144Ce

285.0 d

3 300

3.5

~116

239Np

2.4 d

27 000

3.5

~95

238Pu

86.0 y

1

3.5

0.035

239Pu

24 400.0 y

0.85

3.5

0.03

240Pu

6 580.0 y

1.2

3.5

0.042

241Pu

13.2 y

170

3.5

~6

242Cm

163.0 d

26

3.5

~0.9

Quinze ans plus tard, l'estimation réalisée en 1996 est encore valable. Cependant, les résultats exposés dans le tableau 1 sont incomplets en ce qui concerne les rejets de radionucléides à courte période (132I et 135I). Le rapport UNSCEAR 2000 (UN00) présente les rejets globaux d'iodes radioactifs à courte période sur la base d'informations de première heure, ayant fait l'objet d'une réévaluation (Ab86, Iz90) ; on constate que ces rejets sont notablement inférieurs à ceux de 131I (1 760 PBq), puisque les rejets de 132I, 133I, 134I et 135I s'établissent respectivement à 1 040, 910, 25 et 250 PBq, 132I étant supposé en équilibre radioactif avec 132Te.

Figure 3. Taux de rejet quotidien de substances radioactives dans l'atmosphère (IA86a, version modifiée)

Le tableau 2 présente une estimation des rejets quotidiens de 131I pendant l'accident.

Tableau 2. Rejets quotidiens de 131I

Jour de rejet
Rejets quotidiens (PBq)
26 avril
704
27 avril
204
28 avril
150
29 avril
102
30 avril
69
1 mai
62
2 mai
102
3 mai
107
4 mai
130
5 mai
130
Total
1760

Bien que les rejets aient considérablement diminué les 5 et 6 mai (neuvième et dixième jours après l'accident), des émissions continues de faible intensité se sont produites la semaine suivante et jusqu'à 40 jours après l'accident, en particulier le 15 et le 16 mai, ces émissions étant imputables à l'apparition continuelle d'incendies ou à la présence de zones chaudes dans le réacteur. Une corrélation peut être établie entre ces rejets ultérieurs et les concentrations accrues de radionucléides dans l'air qui ont été mesurées à Kiev et Vilnius.

Formes chimiques et physiques

Le rejet de matières radioactives dans l'atmosphère se composait de gaz, d'aérosols et de combustible finement fragmenté. Des éléments gazeux, tels que le krypton et le xénon, se sont échappés plus ou moins totalement des matières combustibles. On a décelé de l'iode, non seulement à l'état gazeux et sous forme de particules, mais aussi lié à des matières organiques. Les rapports entre les différents composés de l'iode ont varié dans le temps. Comme il a été indiqué ci-dessus, on estime que de 50 à 60 % de l'inventaire du cœur en iode se sont échappés sous une forme ou une autre. D'autres éléments et composés volatils, tels que ceux du césium et du tellure, liés aux aérosols, ont été transportés dans l'air séparément des particules de combustible. On n'a réalisé que quelques mesures de la dimension aérodynamique des rejets de particules radioactives pendant les premiers jours de l'accident. Il est apparu que la distribution d'activité en fonction de la taille des particules était correctement représentée comme la superposition de deux fonctions log-normales, dont l'une présente un diamètre aérodynamique médian en activité (DAMA) de 0,3 à 1,5 mm et l'autre, un DAMA de 10 mm. Les particules les plus grosses contenaient de 80 à 90 % de l'activité des radionucléides non volatils, tels que 95Zr, 95Nb, 140La, 144Cs et les transuraniens enrobés dans la matrice d'uranium du combustible.

Parmi les caractéristiques inattendues du terme source, qui étaient dues en grande partie au feu de graphite, figurent les rejets importants de matières combustibles et la longue durée du rejet. Des éléments faiblement volatils, tels que le cérium, le zirconium, les actinides et, dans une large mesure, le baryum, le lanthane et le strontium également, étaient enrobés dans des particules de combustible. Les plus grosses particules de combustible se sont déposées à proximité du lieu de l'accident, alors que les plus petites ont été plus largement dispersées. D'autres condensats provenant du combustible vaporisé, tels que le ruthénium radioactif, ont formé des particules métalliques. Ces dernières, ainsi que les petites particules de combustible, ont souvent été désignées sous le terme de  »particules chaudes  »et ont été découvertes à de grandes distances du lieu de l'accident (De95). Les valeurs types de l'activité par particule chaude sont comprises entre 0,1 et 1 kBq pour les fragments de combustible et entre 0,5 et 10 kBq pour les particules de ruthénium, le diamètre de ces particules étant d'environ 10 µm, contre 0,4 à 0,7 µm dans le cas des particules associées à l'activité de 131I et de 137Cs (De88, De91).

Dispersion et dépôt

Une contamination radioactive du sol a été observée jusqu'à un certain point dans pratiquement tous les pays de l'hémisphère nord. A partir des mesures locales, la Commission européenne a publié un atlas de la contamination en Europe (De98).

À l'intérieur de l'ex-URSS

Au cours des dix premiers jours suivant l'accident, qui ont été marqués par d'importants rejets de radioactivité, les conditions météorologiques ont changé fréquemment, ce qui a entraîné des variations notables dans les paramètres de direction et de dispersion des rejets. La répartition des dépôts de particules radioactives a été fortement tributaire des paramètres de dispersion, de la taille des particules et des précipitations. Les plus grosses particules, qui étaient principalement des particules de combustible, se sont déposées pour l'essentiel par sédimentation dans un rayon de 100 km autour du réacteur. Les petites particules ont été transportées par le vent à de grandes distances et se sont surtout déposées sous l'effet des précipitations. La composition en radionucléides du rejet et du dépôt ultérieur sur le sol s'est aussi sensiblement modifiée pendant l'accident en raison des variations de température et d'autres paramètres au cours du rejet. On a choisi 137Cs pour caractériser l'ampleur du dépôt au sol car (1) cet élément est facilement mesurable et (2) c'est la principale source des doses d'irradiation reçues par la population après la décroissance radioactive de 131I à courte période. Toutefois, pendant les premières semaines suivant l'accident, la majeure partie de l'activité déposée sur le sol était constituée de radionucléides à courte période, dont le plus important, sur le plan radiologique, était 131I. Toutes les cartes établies dans l'ex-URSS reposaient principalement sur un nombre limité de mesures de 131I et utilisaient les mesures de 137Cs à titre indicatif. Il faut être prudent dans l'emploi de ces cartes, car on a constaté que le rapport des densités de dépôt de 131I à celles de 137Cs variait dans de larges proportions (au Bélarus, entre 5 et 10) et ce rapport n'a pas été étudié sérieusement dans de nombreux pays.

Les trois principales taches de contamination résultant de l'accident de Tchernobyl ont été appelées tache centrale, tache de Bryansk-Bélarus et tache de Kaluga-Tula-Orel (figure 4). La tache centrale s'est formée au cours de la phase active initiale du rejet, principalement à l'ouest et au nord-ouest (figure 5). Des dépôts au sol de 137Cs atteignant plus de 40 kilobecquerels par mètre carré [kBq/m2] ont recouvert de grandes superficies dans le nord de l'Ukraine et dans le sud du Bélarus. La région la plus fortement contaminée a été la zone d'un rayon de 30 km autour du réacteur, où les dépôts au sol de 137Cs ont dépassé en général 1 500 kBq/m2 (Ba93).

Des secteurs fortement contaminés par 137Cs sont apparus partout dans la zone éloignée, en fonction surtout des précipitations au moment du passage du panache. La tache de Bryansk-Bélarus, dont le centre se situe à 200 km au nord/nord-est du réacteur, s'est formée les 28 et 29 avril, à la suite des pluies tombées à la jonction entre la région de Bryansk, en Russie, et les régions de Gomel et de Moghilev, au Bélarus. Les dépôts au sol de 137Cs dans les zones les plus contaminées de cette tache étaient comparables à ceux relevés dans la tache centrale et atteignaient 5 000 kBq/m2 dans certains villages (Ba93).

La tache de Kaluga-Tula-Orel en Russie, dont le centre se trouve approximativement à 500 km au nord-est du réacteur, s'est formée à partir du même nuage radioactif qui avait été à l'origine de la tache de Bryansk-Bélarus, par suite des précipitations survenues les 28 et 29 avril. Cependant, les niveaux de dépôt de 137Cs ont été plus faibles, en général inférieurs à 600 kBq/m2 (Ba93).

En outre, indépendamment des trois principales « taches chaudes  », il y a eu, dans la plus grande partie du territoire européen de l'ex-URSS, de nombreuses zones de contamination radioactive où les niveaux de 137Cs étaient compris entre 40 et 200 kBq/m2. Au total, on a compté initialement, sur le territoire de l'ex-URSS, environ 3 100 km2 contaminés par 137Cs, avec des niveaux de dépôt dépassant 1 500 kBq/m2 , 7 200 km2 avec des niveaux compris entre 600 et 1 500 kBq/m2 et 103 000 km2 avec des niveaux compris entre 40 et 200 kBq/m2 (US91).

Les formes physico-chimiques sous lesquelles se présentaient les radionucléides déposés sont principalement les suivantes : particules de combustible dispersées, particules produites par condensation et particules de type mixte. La distribution dans la zone contaminée située à proximité du réacteur (<100 km) reflétait la composition en radionucléides du combustible et diffère de celle observée dans la zone éloignée (>100 km à 2 000 km). Les grosses particules déposées dans la zone proche renfermaient du combustible (U, Pu), des éléments réfractaires (Zr, Mo, Ce et Np) et des éléments intermédiaires (Ru, Ba, Sr). Les éléments volatils (I, Te et Cs) sous forme de particules produites par condensation étaient plus largement dispersés dans la zone éloignée.

Le dépôt de 90Sr s'est surtout produit dans la zone proche du lieu de l'accident, comme dans le cas de 239Pu ; le seul endroit où la densité de plutonium a dépassé 4 kBq.m-2 se trouvait à l'intérieur de la zone de 30 km dans la région de Gomel-Moghilev-Briansk (De98).

À l'extérieur de l'ex-URSS

La radioactivité a d'abord été détectée à l'extérieur de l'URSS dans une centrale nucléaire en Suède, où il a été noté, lors d'une surveillance de routine, que les travailleurs étaient contaminés. On a pensé en premier lieu que la contamination provenait d'un réacteur suédois. Lorsqu'il est apparu que le réacteur de Tchernobyl en était à l'origine, les stations de surveillance situées dans l'ensemble du monde ont entrepris des programmes intensifs de prélèvement d'échantillons.

Le panache radioactif a été suivi à la trace lors de son déplacement sur la partie européenne de l'URSS et en Europe (voir figure 6). Initialement, le vent soufflait dans la direction du nord-ouest et a été à l'origine de la majeure partie du dépôt en Scandinavie, aux Pays-Bas, en Belgique et au Royaume-Uni. Par la suite, le panache s'est réorienté vers le sud et une bonne partie de l'Europe centrale, ainsi que le nord de la Méditerranée et les Balkans, ont reçu un certain dépôt, dont la gravité réelle dépendait de l'altitude du panache, de la vitesse et de la direction du vent, de la topographie et de l'importance des précipitations qui s'étaient produites pendant le passage du panache.

Dans la plupart des pays d'Europe, il y a eu un dépôt de radionucléides, principalement de 137Cs et de 134Cs, à mesure que le panache passait sur le territoire. En Autriche, dans la partie orientale et méridionale de la Suisse, dans certaines régions du sud de l'Allemagne et en Scandinavie, où le passage du panache a coïncidé avec des précipitations, le dépôt total provenant du rejet de Tchernobyl a été plus important (dépassant 37 kBq.m-2, avec un vaste dépôt sur une superficie de 2 à 4 km2 en Suède dans la commune de Gävle, où il était supérieur à 185 kBq.m-2) (Ed91) que dans la plupart des autres pays ; par contre, en Espagne, en France et au Portugal, ce dépôt a été moindre. C'est ainsi que selon les estimations, dans les provinces de Haute-Autriche, de Salzbourg et de Carinthie en Autriche, les dépôts moyens de 137Cs ont atteint respectivement 59, 46 et 33 kBq/m2, alors qu'au Portugal le dépôt moyen de 137Cs s'élevait à 0,02 kBq/m2 (Un88). Il a été signalé qu'une contamination secondaire considérable s'était produite par suite de la remise en suspension des matières provenant des forêts contaminées. Ceci n'a pas été confirmé par des études ultérieures.

Bien que le panache ait été détectable dans l'hémisphère nord jusqu'au Japon et en Amérique du Nord, le dépôt de radionucléides provenant de l'accident a été très faible dans les pays non européens. Les réseaux de surveillance de la radioactivité dans l'environnement n'ont décelé aucun dépôt dans l'hémisphère sud (Un88).

Figure 4. Dépôt de 137Cs au Bélarus

Figure 5. Dépôt de 137Cs en Ukraine

Comportement des radionucléides déposés

Le comportement dans l'environnement des radionucléides déposés dépend des caractéristiques physiques et chimiques de ces radionucléides et du type de retombées, humides ou sèches, de la taille et de la forme des particules ainsi que de l'environnement. Par exemple, les particules résultant de la conversion gaz-particule, par réaction chimique, nucléation et condensation, et également par coagulation, présentent une grande surface spécifique et sont généralement plus solubles que les particules générées par explosion, telles que les grosses particules de combustible produites par des processus mécaniques comme l'explosion du combustible.

En ce qui concerne les radionucléides à courte période, tels que les isotopes de l'iode, la principale voie d'exposition de l'homme réside dans le transfert de la quantité déposée sur des légumes à feuilles consommés dans les jours qui suivent, ou encore sur l'herbe de pâture, dont la consommation par les bovins ou les ovins provoque une contamination du lait. Le comportement à long terme de ces radionucléides n'est pas à considérer car la demi-vie physique de 131I n'est que de huit jours.

Les radionucléides déposés sur le sol migrent vers le bas pour atteindre la partie du sol contenant les racines et le temps de séjour dans cette zone devrait conditionner partiellement leur migration dans la végétation. Les observations semblent nettement indiquer que les profils de migration s'établissent très peu de temps après la contamination, sous l'effet des conditions initiales régnant immédiatement après celle-ci, comme l'humidité du sol et les premières précipitations, qui sont susceptibles d'influer de manière déterminante sur la profondeur à laquelle les radionucléides pénètrent dans le sol (Br00). La migration verticale de 137Cs et de 90Sr dans le sol de différents types de prairies a été plutôt lente et la fraction la plus importante des radionucléides est encore contenue dans les couches supérieures du sol (0-10 cm). On a estimé que la période effective d'élimination des radionucléides de la couche des racines se situait entre 10 et 25 ans pour 137Cs. Peu de temps après l'accident, les coefficients de transfert de 137Cs aux végétaux ont diminué d'un facteur 1,5 à 7 mais, compte tenu de la mobilité persistante du césium radioactif observée par la suite, et en particulier de l'augmentation des périodes effectives dans l'environnement qui se rapprochent du taux de désintégration physique de 137Cs, il semble maintenant que le processus de sorption-désorption du césium radioactif dans les sols et les sédiments tende vers un régime permanent réversible. La conséquence pratique qui en découle pour la contamination des végétaux dans l'environnement est que les denrées alimentaires resteront contaminées pendant un temps beaucoup plus long que celui prévu initialement (Sm00).

La contribution des voies de transfert aquatiques à la quantité de 137Cs et de 90Sr incorporée dans le régime alimentaire est habituellement assez faible. Cependant, son importance relative par rapport aux voies de transfert terrestres peut être grande dans certains lacs de Scandinavie et de Russie. Dans les montagnes, on peut observer, sous l'effet du ruissellement, certaines reconcentrations de la radioactivité dans des zones plus basses et, par exemple, dans la partie méridionale des Alpes françaises, la contamination par 137Cs relevée en 1992 était d'environ 20 000 Bq.m-3, ce qui correspond à une activité de 1 760 Bq.kg-1 dans les échantillons de sol. Dans certaines zones restreintes spécifiques (une fraction de mètre carré seulement), on a relevé des taches chaudes au niveau de 55 800 Bq.kg-1 en 1992, de 314 000 Bq.kg-1 en 1995 et de 500 000 Bq.m-2 en 2000. Ces taches chaudes résultent du ruissellement des eaux de fonte des neiges tombées après la contamination en 1986 de la partie supérieure de la montagne. Elles ont été observées dans des petites cuvettes à plus faible altitude dans la forêt ou sous des mélèzes, aux endroits où la neige s'accumule. Cependant, comme ces taches chaudes sont de surface réduite (allant de 1 cm2 à 1 m2) et se trouvent en dehors des sentiers de marche, elles présentent un faible risque d'irradiation pour les randonneurs. Par exemple, on a estimé qu'un randonneur recevrait environ 0,001 mSv pendant un repos de 4 heures à proximité d'une telle tache chaude (Ma97). Ces taches resteront actives pendant plusieurs décennies, leur décroissance suivant la demie-vie physique de 137Cs.

Dans les zones touchées, l'eau de boisson est faiblement contaminée, contenant moins de 1 Bq de 137Cs ou de 90Sr par litre. L'activité annuelle moyenne de 137Cs dans les eaux de la Pripiat et dans les bassins de retenue de Kiev s'est maintenant stabilisée dans une fourchette de valeurs comprises entre 1 et 0,2 Bq.l-1 (Bq par litre), lesquelles sont dix fois plus élevées que celles enregistrées avant l'accident de 1986. Dans la Pripiat, l'activité de 90Sr dépasse parfois les niveaux autorisés pour l'eau de boisson (2 Bq.l-1), en raison des conditions météorologiques, des pluies et des inondations.

Du 26 avril au 6 mars 1986, pendant la période des rejets, les plus forts niveaux de radioactivité mesurés dans la Pripiat étaient de l'ordre de 100 000 Bq/l, du fait principalement de 131I. L'activité dans la Pripiat est tombée à quelques milliers de Bq/l à la mi-mai 1986 et à 200 Bq/l en juin 1986. De la fin du mois de novembre 1986 au début de l'année 1987, l'activité mesurée dans cette rivière a rarement dépassé 40 Bq/l. À partir de 1987, les seuls radionucléides mesurés en quantités significatives sont 137Cs et 90Sr. Depuis 1988, 90Sr est le radioélément présent à la plus forte concentration dans les eaux de la Pripiat.

La forme chimique sous laquelle 137Cs s'est déposé est relativement insoluble et n'est pas extraite rapidement du sol par les eaux de ruissellement de surface. La majeure partie de 137Cs transférée à la Pripiat par les eaux de ruissellement provenait de la zone d'exclusion de 30 km. En raison de cette faible solubilité, 1 à 5 % seulement de l'activité initiale de 137Cs a atteint la mer Noire, le reste s'étant accumulé dans divers bassins de retenue situés sur le Dniepr et plus de la moitié de cette activité étant demeurée dans le lac-réservoir de Kiev.

L'activité de 90Sr dans les eaux de la Pripiat est quelque peu supérieure au niveau autorisé pour la consommation humaine, soit 2 Bq/l. Pendant les crues de l'automne 1988, l'activité de cet élément a atteint 9.6 Bq/l. A la suite d'un blocage important des eaux pendant des crues particulièrement hautes, les concentrations de 90Sr se sont élevées à 12,2 Bq/l en janvier 1991 et à 5,9 Bq/l en février 1994.

En 1986, au cours de l'accident et des mois qui ont suivi, on a évalué à 66 TBq l'activité de 137Cs rejetée dans le Dniepr. Par la suite, la lixiviation des sols par les eaux de surface et les crues a entraîné une augmentation mesurable des concentrations de radionucléides dans la Pripiat. Le tableau 3 ci-après indique les flux entrants de 137Cs et de 90Sr dans la Pripiat entre 1986 et 1998, ainsi que les concentrations résultantes dans l'eau.

Les villes de Kiev, Krementchoug et Kakhovka sont en partie alimentés par les bassins de retenue du Dniepr (voir figure 7). Le tableau 3 reproduit les niveaux moyens annuels de 137Cs et de 90Sr dans la Pripiat entre 1986 et 1998 (Po01), mais on pourrait observer des pics d'activité dix fois plus élevés pendant les crues.

Les indications graphiques sur la figure 7 montrent l'évolution des concentrations de 137Cs et de 90Sr dans ces bassins de retenue de 1986 à 1998.

Il a été démontré que les forêts peuvent délivrer d'importantes doses de rayonnements par le biais non seulement de la consommation de baies, de champignons et de gibier, mais aussi de l'exploitation industrielle des produits forestiers. La production d'énergie à partir de biocombustibles forestiers contaminés par la radioactivité dans le nord de l'Europe et l'utilisation des déchets produits ou des cendres, de même que leur recyclage dans la forêt comme engrais, ont des conséquences radiologiques.

Sur les sols forestiers de type podzol, la migration de 137Cs est très marquée, les quantités présentes dans les couches minérales étant plus élevées dix ans après la dispersion par voie aérienne. Plus d'une dizaine d'années après l'accident de Tchernobyl, l'inventaire total continue à augmenter dans les pins des forêts boréales. Il n'y a quasiment aucune perte de 137Cs via les eaux de ruissellement provenant des écosystèmes des forêts boréales, hormis celles émanant des parties plus humides des marais.

Tableau 3. Evolution de la radioactivité moyenne dans la Pripiat depuis l'accident en 1986
(d'après Poïkarpov et Robeau, 2001)

 

Flux entrant de 137Cs

(TBq/a)

Activité spectrale moyenne de 137Cs dans la Pripiat (Bq/l)

Flux entrant de 90Sr

(TBq/a)

Activité spectrale moyenne de 90Sr dans la Pripiat (Bq/l)

         

1986

66,2

6,95

27,6

2,9

1987

12,8

1,65

10,4

1,34

1988

9,48

0,73

18,7

1,44

1989

6,44

0,521

8,97

0,725

1990

4,63

0,359

10,1

0.783

1991

2,9

0,208

14,4

1,033

1992

1,92

0,206

4,14

0,445

1993

3,48

0,208

14,2

0,838

1994

2,96

0,197

14,2

0,946

1995

1,15

0,11

3,4

0,326

1996

1,3

0,129

3,42

0,340

1997

1,7

0,158

2,68

0,25

1998

2,95

0,137

6,37

0,296

Plus de seize ans après l'accident, seuls 2 à 3 % de la radioactivité déposée demeurent encore sur la partie aérienne de la végétation.

Depuis l'accident, le commerce du bois a fait l'objet d'une réglementation. Selon l'usage auquel est destiné le bois récolté, les niveaux prévus par cette réglementation vont de 740 à 11 000 Bq de 137Cs par kg, ce qui implique que 30 % des pins de la zone d'exclusion ne peuvent être exploités.

À ce stade, le transfert de matières par remise en suspension à partir de zones plus ou moins contaminées n'est pas important. Les pratiques agricoles classiques, les traitements mécaniques, tels que le labourage et le paillage, et l'utilisation d'engrais constituent des contre-mesures efficaces.

Figure 7. Directions d'écoulement possibles des eaux souterraines dans le bassin du Dniepr

Concentrations de 137Cs et de 90Sr en Bq.l-1 dans les bassins de retenue de Kiev, Krementchoug et Kakhovka (voir figure 7). Les flèches noires représentent l'activité pénétrant dans les bassins de retenue, tandis que les flèches blanches désignent l'activité sortant de ces bassins (d'après Po01)

Crédit: « Catastrophes et accidents nucléaires dans l'ex-union soviétique  », D. Robeau.

Cependant, un an après l'accident, une tempête a remis en suspension la radioactivité déposée dans la zone d'exclusion et la radioactivité atmosphérique dans la ville de Pripiat a augmenté d'un facteur 1 000 pour s'établir à 300 Bq.m-3. Des incendies de forêt ont aussi entraîné des accroissements de la radioactivité. En 1992, à proximité de la zone d'exclusion, la radioactivité due aux incendies de forêt a atteint 20 Bq.m-3 dans le cas des émetteurs bêta et 70 mBq.m-3 dans celui des isotopes du plutonium. Des stations de surveillance éloignées de ces zones ont enregistré certains pics de radioactivité.

En résumé

Il apparaît que l'on dispose désormais d'une estimation assez précise du rejet total de radioactivité et que les observations faites ces dernières années ont donné plus de poids aux évaluations précédentes. La durée de ce rejet a été d'une longueur inattendue, s'étendant sur plus d'une semaine, avec deux périodes de rejet intense. Un autre trait particulier de ce rejet tient à l'émission importante (4 % environ) de matières combustibles qui contenaient aussi des radionucléides enrobés de faible volatilité, tels que le cérium, le zirconium et les actinides. La composition et les caractéristiques des substances radioactives présentes dans le panache se sont modifiées lors de son passage en raison du dépôt par voie humide et sèche, de la décroissance radioactive, des trans-formations chimiques et des variations de taille des particules. La zone touchée a été particulièrement étendue en raison de la haute altitude et de la longue durée du rejet, ainsi que des changements de direction du vent. Cependant, la répartition du dépôt a été très irrégulière et un important dépôt de radionucléides s'est produit là où le passage du panache a coïncidé avec des précipitations. Bien que tout l'hémisphère nord ait été touché, seuls les territoires de l'ex-URSS et une partie de l'Europe ont été soumis à un degré important de contamination. Le comportement dans l'environnement des radionucléides déposés est de mieux en mieux connu. Plus de seize ans après l'accident, des radionucléides sont encore présents dans les couches supérieures des sols, ce qui entretient le processus de transfert aux végétaux, notamment aux champignons, aux baies et aux produits forestiers. En outre, étant donné que la formation d'espèces de 137Cs s'est modifiée dans certains sols, les denrées alimentaires resteront contaminées pendant une période beaucoup plus longue que celle prévue initialement (Sm00). À l'exception de quelques nappes phréatiques, la contamination de l'environnement est très bien connue. Les niveaux de contamination dans les sols ne diminuent que lentement, principalement par transfert aux végétaux. L'essentiel de la décroissance dans les années à venir ne s'effectuera qu'à la vitesse dictée par la demi-vie physique de 137Cs.