AEN Infos 2005 N° 23.2

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L’AEN et l’AIEA : une alliance pour le progrès

G.H. Marcus*

Il nous est souvent demandé quelle est la différence entre l’Agence de l’OCDE pour l’énergie nucléaire (AEN) et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Ou, pour parler sans détour, pourquoi a-t-on besoin de deux organisations internationales s’occupant de l’énergie nucléaire ?

C’est à juste titre que les gouvernements et les intéressés se posent la question. Après tout, les domaines d’intervention des deux organisations présentent, de prime abord, d’importantes similitudes, et il serait inadmissible qu’un pays membre soutienne des activités qui font doublon et, à plus forte raison, que des fonctionnaires internationaux perdent leur temps et leurs efforts dans des vaines luttes d’influence.

Je suis heureuse d’affirmer que les priorités et points forts respectifs des deux agences sont, lorsqu’on y regarde de plus près, différents. Qui plus est, les hauts responsables des deux agences coopèrent et coordonnent leur activités, et l’on est en droit de penser qu’ainsi la complémentarité est assurée. D’ailleurs, les compétences et optiques spécifiques de ces organisations leur permettent, lorsqu’elles coopèrent ou conjuguent leurs efforts, de produire des résultats supérieurs à la simple somme de leurs travaux respectifs.

Une bonne compréhension de ce qui différencie fondamentalement l’AIEA et l’AEN aidera à prendre la juste mesure des choses. L’AEN est une organisation réunissant 28 économies libérales tournées vers le marché. L’AIEA, au contraire, compte 138 États membres dont la plupart des pays en développement. Tous les pays membres de l’AEN sont également membres de l’AIEA. L’AEN est une organisation semi-autonome instituée dans le cadre de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), tandis que l’AIEA est une organisation internationale autonome de la famille des organisations des Nations unies. Les pays membres de l’AEN qui exploitent des centrales nucléaires produisent ensemble plus de 80 % de la production électronucléaire mondiale. L’énergie nucléaire assure près d’un quart de la production électrique des pays membres de l’AEN et 16 % de la production mondiale.

L’AEN a pour mission d’aider ses pays membres à maintenir et à approfondir, par l’intermédiaire de la coopération internationale, les bases scientifiques, technologiques et juridiques indispensables à une utilisation sûre, respectueuse de l’environnement et économique de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques, de fournir des évaluations faisant autorité et de dégager des convergences de vues sur des questions importantes qui serviront aux gouvernements à définir leur politique nucléaire, et contribueront aux analyses plus générales des politiques réalisées par l’OCDE concernant des aspects tels que l’énergie et le développement durable. L’AEN se consacre, par conséquent, en priorité aux thèmes sur lesquels les pays membres souhaitent obtenir ce type d’évaluation et parvenir à un consensus. L’Agence internationale de l’énergie atomique, quant à elle, a pour mission d’accélérer et d’accroître la contribution de l’énergie atomique à la paix, la santé et la prospérité dans le monde entier et, de s’assurer, dans la mesure de ses moyens, que l’aide fournie par elle-même, ou à sa demande, sous sa direction ou sous son contrôle, n’est pas utilisée de manière à servir des fins militaires. La mission de l’AIEA recouvre donc tous les secteurs de la technologie nucléaire, dont ceux qui sont utiles au monde en développement. Un axe primordial de sa mission consiste à s’assurer que l’utilisation et la dissémination de la technologie nucléaire n’amplifient pas la prolifération des armes nucléaires dans le monde.

Ce sont donc des missions très différentes. Ainsi, l’AEN n’entreprend pas d’activités dans la plupart des secteurs couverts par l’AIEA. Bien que consciente de l’importance de la non prolifération, elle ne travaille pas dans ce domaine. Elle ne travaille pas non plus sur les politiques et les conventions internationales en la matière ni ne participe aux inspections destinées à s’assurer que les traités de non prolifération sont respectés. L’AEN n’apporte pas d’assistance technique aux pays en développement, un des principaux centres d’intérêt de l’AIEA. De façon similaire, l’AEN ne finance pas la diffusion des technologies nucléaires ni les formations nécessaires pour les utiliser. Dans bien des disciplines techniques où l’AIEA a accompli un travail considérable, par exemple les applications agricoles des technologies nucléaires, l’AEN n’intervient pas.

Pourtant, il existe des disciplines techniques où les intérêts des deux organisations se rejoignent. L’exploitation des réacteurs dans des conditions sûres, aujourd’hui comme à l’avenir, est une préoccupation qu’elles partagent. Elle s’intéressent toutes deux aux autres aspects du cycle du combustible, dont le stockage des déchets, ainsi qu’aux effets de l’exposition aux rayonnements des travailleurs et du public. Elles réalisent aussi des études sur le développement et les aspects économiques de l’énergie nucléaire et travaillent dans des disciplines scientifiques sur lesquelles repose la technologie nucléaire.

L’originalité du travail de chacune des agences dans ces domaines tient à leurs optiques techniques et politiques particulières ainsi qu’à des modes opératoires très différents. Avec une petite équipe et un budget modeste (80 personnes environ et 12,5 millions d’euros [1]), l’AEN n’a pas les moyens d’assister ses pays membres dans tous les domaines. Et d’ailleurs, ses pays membres, qui possèdent des infrastructures très élaborées, ont lancé d’importants programmes de recherche et ont acquis une expérience considérable des technologies nucléaires, n’en ressentent pas le besoin. L’AEN travaille sous la conduite d’un Comité de direction composé de représentants de ses pays membres. Ce dernier a adopté un Plan stratégique quinquennal pour orienter les travaux de l’Agence et il établit des programmes de travail de deux ans en conformité avec le Plan stratégique. Le Plan stratégique, comme les plans de travail biennaux, engagent l’Agence à se concentrer sur les sujets qui intéressent ses membres. Par exemple, l’Agence n’a pas en ce moment beaucoup d’activités concernant le stockage des déchets de faible activité et s’intéresse plutôt au stockage des déchets de haute activité.

Les domaines d’expérience du personnel de l’AEN sont ceux dans lesquels les pays membres souhaitent poursuivre des travaux de recherche. En outre, les produits que livre l’AEN ne sont généralement pas l’oeuvre du seul personnel permanent ou de consultants mais des comités et de leurs groupes de travail. Ces comités fédèrent les meilleures compétences au monde pour proposer des produits qui représentent l’opinion commune des experts mondiaux dans un domaine donné. On notera que les comités de l’AEN et leurs groupes de travail sollicitent aux moments opportuns la participation de pays non membres, y compris en tant qu’observateurs ad hoc ou permanents. Ces collaborations sont en nombre limité, mais elles s’adressent aux pays non membres de l’AEN, tels la Russie et la Chine, qui ont des activités nucléaires importantes et sont capables d’apporter une contribution significative aux travaux des comités et de tirer profit de leur participation.

L’AEN possède un autre atout majeur, l’expérience qu’elle a acquise en assurant le secrétariat de projets de recherche internationaux. Elle assure ce service aujourd’hui pour une douzaine de projets de ce type, dont bon nombre ont trait à la sûreté. On notera avec intérêt que ces projets peuvent associer des pays qui ne sont pas membres de l’AEN. Par exemple, le projet RASPLAV qui vient de s’achever et le projet MASCA en cours utilisent tous deux des installations de recherche situées en Russie.

Si l’on peut penser de prime abord que le petit nombre de membres de l’AEN constitue une entrave, en fait, c’est tout le contraire. Cette composition ramassée, homogène, simplifie les décisions concernant les pays que l’on invitera à participer au projet et les ressources à partager. Les projets sont naturellement d’ordre multinational plutôt que mondial et, suivant les besoins, peuvent être lancés avec quelques pays membres de l’AEN seulement. Par ailleurs, la possibilité d’associer aux travaux plusieurs pays non membres est gage de la prise en compte d’autres perspectives quand il est approprié de le faire.

Du fait de leurs missions et compositions différentes, les deux organisations possèdent des atouts complémentaires. Si la structure organisationnelle et les méthodes de l’AEN favorisent les projets multinationaux dans des domaines technologiques nouveaux, la structure et les activités de l’AIEA se prêtent plus volontiers à une diffusion mondiale des résultats et des produits. À plusieurs reprises, l’AIEA a repris un outil mis au point par l’AEN pour des applications multinationales afin de l’adapter à un public mondial. Tout aussi important, l’AEN et l’AIEA se sont associées sur de nombreux projets de façon à mettre au point des applications répondant aux souhaits de leurs membres respectifs.

Le Système de notification des incidents (IRS) et l’Échelle internationale des événements nucléaires (INES) constituent deux exemples remarquables d’efforts communs de l’AIEA et de l’AEN. L’IRS servait à l’origine à collecter des informations sur des incidents potentiellement liés à la sûreté dans les centrales nucléaires et à les communiquer aux autorités de sûreté. Désormais, il ne concerne plus seulement les centrales nucléaires et a été étendu aux réacteurs de recherche et aux installations du cycle du combustible du monde entier. INES a été développé pour faire savoir rapidement au public quelle est l’importance pour la sûreté d’incidents survenus dans les centrales nucléaires. Elle a été ultérieurement élargie à tous les types d’installations nucléaires ainsi qu’aux incidents liés au transport de substances radioactives et à l’utilisation de sources radioactives.

Pour les exploiter au mieux, ces deux produits devaient logiquement pouvoir être utilisés dans le monde entier. La composition restreinte de l’AEN et le fait que ses membres possèdent eux-mêmes des outils de ce type ont permis à cette Agence de lancer leur mise au point sans tarder. L’AIEA en a étendu le champ d’application et, finalement, était l’organisation la mieux à même d’en assurer la gestion à long terme. L’AEN a continué de travailler aux côtés de l’AIEA en assurant la gestion de l’IRS et en tant que membre du Comité consultatif dans le cas d’INES. Ainsi, le développement et la mise en oeuvre de ces systèmes ont pu bénéficier de la synergie dégagée par cette démarche, doublement gagnante.

Par sa composition, l’AIEA est également toute désignée pour organiser des examens de la sûreté des centrales nucléaires dans le monde et favoriser ainsi un progrès ininterrompu de la sûreté d’exploitation, par l’entremise notamment des Équipes d’examen de la sûreté d’exploitation, OSART (Operational Safety Review Teams) ; pour aider au besoin les pays à se doter des infrastructures indispensables à l’exploitation et à la réglementation sûres et efficaces de leurs installations nucléaires, par exemple par la formation ; pour constituer le cadre privilégié de discussions et de conseils sur la sûreté des installations nucléaires, par l’entremise notamment de son Groupe consultatif international pour la sûreté nucléaire (INSAG) ; et pour établir des normes de sûreté de base afin d’assurer que les normes réglementaires dans le monde respectent certains principes fondamentaux.

Les différents points forts des deux organisations expliquent pourquoi leurs pays membres s’adressent tantôt à l’une, tantôt à l’autre pour réaliser certaines activités. C’est ainsi que des pays membres de l’AIEA ont encouragé le lancement du Projet international sur les réacteurs nucléaires et les cycles du combustible nucléaire innovants (INPRO) pour les aider à évaluer les technologies nucléaires actuelles et futures et à choisir efficacement celles qui sont les mieux adaptées à leurs besoins respectifs. De même, le Forum international Génération IV (GIF), composé principalement mais non exclusivement de pays membres de l’AEN, a, en demandant à l’AEN d’assurer son secrétariat technique, souhaité profiter de son expérience de la coordination de projets de recherche.

Si ces propos démontrent à l’évidence le rôle particulier et complémentaire des deux organisations dans les domaines d’intérêt commun, il est également vrai que, sans coordination volontaire, ce qui commence comme une activité complémentaire peut devenir un jour redondant. Au fil du temps, les deux organisations ont donc tissé des liens à tous les niveaux, qu’il s’agisse de contacts entre les chefs de projet d’activités apparentées entreprises dans les deux organisations ou de la réunion annuelle de coordination où les responsables des deux agences discutent de leurs projets pour l’année qui vient.

Cette communication a conduit ces deux organisations à unir leurs compétences pour organiser des activités en commun, notamment des conférences et des publications, et à participer activement aux réunions des comités et aux conférences de leur homologue.

En conclusion, parce que leurs missions et leurs méthodes de travail diffèrent, mais aussi grâce aux relations étroites qu’elles ont établies, l’AEN et l’AIEA assurent aux pays membres des services complémentaires et coordonnés dans les domaines d’intérêt mutuel.

Note

1. Par comparaison, l’effectif de l’AIEA s’élève à 2 200 personnes et son budget avoisine USD 300 millions. Il convient de noter cependant que ces chiffres correspondent aux montants globaux, et non aux seules activités intéressant les deux agences.

 

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* Mme Gail H. Marcus (gail.marcus@oecd.org) est Directrice générale adjointe de l’AEN.