Tchernobyl: Évaluation des incidences radiologiques et sanitaires
Mise à jour 2002 de Tchernobyl : Dix ans déjà

Chapitre VII
Risques résiduels potentiels

Conclusions
(Les conclusions apparaîtront dans une nouvelle fenêtre)

Le sarcophage

À la suite de l'accident, on a examiné plusieurs projets visant à placer une enceinte autour du réacteur endommagé (Ku95). La solution qui a été retenue prévoyait la construction d'une structure massive en béton et en acier utilisant comme support ce qui subsistait des parois du bâtiment réacteur (Ku95).

En août 1986, des capteurs spéciaux de surveillance du rayonnement gamma et d'autres paramètres ont été installés en divers points à l'aide de grues et d'hélicoptères. Ces capteurs avaient pour principal but d'évaluer l'exposition aux rayonnements dans les zones où des travaux de construction étaient prévus.

On a alors érigé un mur extérieur de protection autour du périmètre ainsi que d'autres parois dans le bâtiment des turbines, relié au bâtiment réacteur de la tranche 3 par un bâtiment intermédiaire, dit bâtiment « V  », et un toit en acier est venu compléter la structure. Le réacteur détruit a ainsi été enfermé dans une structure en béton et en acier de 300 000 tonnes, couramment dénommée « l'enveloppe  »ou le « sarcophage  ». Cette tâche colossale, qui a été exécutée en sept mois seulement, s'est achevée en novembre 1986.

De multiples capteurs ont été installés en vue de surveiller des paramètres tels que le rayonnement gamma et le flux de neutrons, la température, le flux thermique, ainsi que les concentrations d'hydrogène, de monoxyde de carbone et de vapeur d'eau dans l'air. D'autres capteurs surveillent la stabilité mécanique de la structure et de la masse de combustible, de manière à permettre de détecter toute vibration ou tout déplacement des principaux composants. Tous ces capteurs sont commandés par ordinateur. Des systèmes conçus pour atténuer les conséquences de toute nouvelle condition défavorable ont aussi été mis en place. Il s'agit notamment d'un circuit d'injection de produits chimiques pour empêcher les excursions de criticité nucléaire dans le combustible et d'un circuit de pompage pour retirer l'excédent d'eau provenant de fuites dans le sarcophage (To95).

Le montage de l'opération d'assainissement a exigé un énorme effort ; la décontamination du sol et des bâtiments, le coffrage du réacteur endommagé et la construction du sarcophage représentaient une rude tâche et il est impressionnant de voir tout ce qui a été réalisé en si peu de temps. À l'époque, l'accent était mis sur le confinement dans les plus brefs délais possibles. En conséquence, on n'a pas construit de structure destinée à être réellement permanente et il y a lieu de considérer le sarcophage comme une barrière provisoire, dans l'attente de la définition d'une solution plus radicale pour l'élimination du réacteur détruit et l'évacuation des matières hautement radioactives dans des conditions sûres. Dans ce contexte, le maintien de la structure existante au cours des prochaines décennies pose des problèmes techniques extrêmement importants. Un consortium international procède actuellement à des consultations et à des études en vue de trouver une solution permanente à ce problème.

Dans le réacteur endommagé, le combustible se présente sous trois formes : (a) des pastilles de dioxyde d'uranium enrichi à 2 %, ainsi que quelques produits de fission, ayant conservé pour l'essentiel la même forme que dans les barreaux combustibles d'origine, (b) des particules radioactives de dioxyde d'uranium de quelques dizaines de microns de diamètre ou des particules plus petites de quelques microns, constituées par du combustible fusionné avec la gaine métallique des barreaux combustibles, et (c) trois importantes coulées de combustible, ressemblant à de la lave, mélangées à du sable et du béton. La quantité de combustible dispersé sous forme de poussières est évaluée à plusieurs tonnes (Gl95).

Le mélange de combustible fondu s'est solidifié pour former un matériau semblable à du verre qui contient du combustible ancien. Les estimations relatives au volume de ce combustible sont très incertaines. C'est ce matériau vitrifié qui est en grande partie à l'origine des débits de dose très élevés dans certaines zones (Se95a). À l'intérieur de l'enveloppe du réacteur, l'irradiation externe est largement imputable à 137Cs mais l'inhalation de poussières de combustible constitue également un risque. Comme il a été indiqué précédemment, les chercheurs faisant partie d'un groupe spécial restreint qui ont travaillé périodiquement à l'intérieur du sarcophage pendant un certain nombre d'années ont accumulé des doses comprises, selon les estimations, entre 0,5 et 13 Gy (Se95a). Étant donné que ces doses se sont échelonnées sur une longue période, aucun effet déterministe n'a été observé chez ces chercheurs. Depuis le début de 1987, l'intensité du rayonnement gamma à l'intérieur de la structure a diminué d'un facteur 10. La température a aussi sensiblement baissé. À l'extérieur du sarcophage, les niveaux de rayonnement ne sont pas élevés, si ce n'est sur le toit où des débits de dose atteignant 0,5 Gy/h ont été mesurés après la construction du sarcophage. Ces niveaux de rayonnement sur le toit se sont maintenant abaissés à moins de 0,05 Gy/an.

Neuf ans après sa construction, la structure du sarcophage, encore qu'elle demeure généralement solide, suscite des préoccupations quant à sa stabilité et à sa résistance à long terme et représente un risque potentiel permanent. L'enveloppe est en partie étayée par les structures primitives du bâtiment de la tranche 4, qui sont sans doute en mauvais état à la suite des explosions et de l'incendie, et leur rupture pourrait entraîner l'effondrement du toit. Cette situation est aggravée du fait de la corrosion des structures métalliques internes par la forte humidité qui règne à l'intérieur du sarcophage et qui est due aux grandes pénétrations d'eau de pluie par les nombreuses fissures du toit qui n'ont été réparées que récemment (La95). La structure existante n'est pas conçue pour résister à des séismes ou à des tornades. Le bouclier biologique supérieur en béton du réacteur est en appui sur des murs et risque de tomber. Nombreuses sont les incertitudes quant à l'état du radier inférieur, qui a été endommagé par la pénétration de matières fondues au cours de l'accident. Une rupture de ce dernier pourrait provoquer la destruction de la plus grande partie du bâtiment.

On a envisagé un certain nombre de situations potentielles qui pourraient entraîner des brèches dans le sarcophage et la libération de radionucléides dans l'environnement. Parmi celles-ci figurent l'effondrement du toit et des structures internes, un événement de criticité éventuel et la migration à long terme des radionucléides dans les eaux souterraines.

À l'heure actuelle, l'enveloppe n'est pas étanche, même si le niveau de confinement a été renforcé récemment. Bien que présentement les émissions dans l'environnement soient faibles, ne dépassant pas 10 GBq/an pour 137Cs et 0,1 GBq/an pour le plutonium et d'autres éléments transuraniens, une perturbation des conditions actuelles à l'intérieur du sarcophage, telle que le déplacement du bouclier biologique, pourrait entraîner une dispersion plus importante des radionucléides (To95). Dans ce cas, la dispersion ne serait pas grave et se limiterait au site, à condition que le toit ne s'effondre pas. Toutefois, l'effondrement du toit, provoqué éventuellement par un tremblement de terre, une tornade ou la chute d'un avion, associé à l'effondrement des structures internes instables, pourrait se solder par la libération d'environ 0,1 PBq de poussière de combustible, ce qui contaminerait une partie de la zone d'exclusion de 30 km (Be95).

Des scénarios moins probables fondés sur l'hypothèse la plus défavorable aboutiraient à une plus forte contamination de la zone d'exclusion mais aucune contamination importante ne devrait se produire au-delà de cette zone. A l'heure actuelle, des excursions de criticité ne sont pas considérées comme probables (IP95). Néanmoins, il est possible de formuler des théories (Go95, Bv95) sur des scénarios d'accidents hypothétiques, aussi lointains soient-ils, qui pourraient aboutir à un événement de criticité. L'un de ces scénarios impliquerait la chute d'un avion ou un tremblement de terre avec effondrement du sarcophage, associé à une inondation. Un accident de ce type pourrait libérer dans l'atmosphère de l'ordre de 0,4 PBq de poussière de combustible ancien et de nouveaux produits de fission qui viendraient contaminer le sol principalement dans la zone de 30 km.

Les fuites à partir du sarcophage peuvent aussi constituer un mécanisme de libération de radionucléides dans l'environnement. Les diverses salles du sarcophage contiennent actuellement plus de 3 000 m3 d'eau (To95), dont la plus grande partie y a pénétré par les défauts que présente le toit. Son activité, principalement imputable à 137Cs, est comprise entre 0,4 et 40 MBq/l. Des études sur les masses contenant du combustible montrent que celles-ci ne sont pas inertes et se modifient de diverses façons. Parmi ces modifications figurent la pulvérisation des particules de combustible, la fragmentation surfacique des matériaux semblables à de la lave, la formation de nouveaux composés d'uranium, dont certains sont solubles à la surface, et la lixiviation de radionucléides à partir des masses contenant du combustible. Les études effectuées à ce jour montrent que cette migration pourra prendre de l'importance au fil du temps.

Un autre mécanisme de dispersion de la radioactivité dans l'environ-nement peut être le transport de la contamination par des animaux, comme les oiseaux et les insectes, qui pénètrent dans le sarcophage et y demeurent (Pu92). Enfin, on a envisagé l'éventualité d'une lixiviation des radionucléides à partir des masses de combustible par l'eau contenue dans l'enveloppe, puis leur migration dans les eaux souterraines. Cependant, ce phénomène serait vraisemblablement très lent : on a estimé, par exemple, qu'il faudrait de 45 à 90 ans à certains radionucléides, tels que 90Sr, pour migrer en profondeur jusqu'à la zone de collecte des eaux de la Pripiat. On ne peut se prononcer avec assurance sur l'importance radiologique probable de ce phénomène et il sera indispensable de suivre attentivement, pendant longtemps encore, l'évolution de la contamination des eaux souterraines.

Sites de stockage de déchets radioactifs

Les opérations de reprise sous contrôle de l'accident et d'assainissement ont été à l'origine de très grandes quantités de déchets radioactifs et d'équipements contaminés. Certains de ces déchets radioactifs sont enfouis dans des tranchées ou dans des conteneurs isolés des eaux souterraines par des écrans en argile ou en béton à l'intérieur de la zone de 30 km (Vo95). Un examen de ces structures ouvragées a abouti à la conclusion qu'à condition que la couche d'argile demeure intacte, leur contribution à la contamination des eaux souterraines serait négligeable. Par ailleurs, de 600 à 800 tranchées destinées au stockage des déchets ont été creusées à la hâte à proximité immédiate de la tranche 4 à la suite de l'accident. Ces tranchées dépourvues de revêtement renferment les retombées radioactives qui s'étaient accumulées sur les arbres, sur l'herbe et dans le sol jusqu'à une profondeur de 10 à 15 cm et qui ont été retirées par bulldozer sur une superficie d'environ 8 km². Selon les estimations, la quantité d'activité s'élève actuellement à environ 1 PBq, ce qui est comparable à l'inventaire total stocké dans les installations construites spécialement à cet effet tout près de la tranche 4. En outre, un grand nombre d'équipements, de machines et de véhicules contaminés sont également stockés en plein air.

Rares sont les documents décrivant les activités initiales d'assainis-sement. Les informations sur l'état actuel des tranchées dépourvues de revêtement à proximité de la tranche 4 et sur la dispersion des radioéléments ont pour la plupart été obtenues dans le cadre d'une enquête ponctuelle. Les résultats de cette étude (Dz95) sont notamment les suivants :

· Le nappe phréatique au voisinage de la tranche 4 s'est élevée de 1 à 1,5 m en quelques années pour se trouver à environ 4 m de la surface du sol et continue peut-être à s'élever (ce qui provient apparemment en grande partie de la construction, en 1986, d'un mur d'une longueur de 3,5 km et d'une profondeur de 35 m tout autour du réacteur pour protéger le bassin de retenue de Kiev contre tout risque de contamination par les eaux souterraines, ainsi que de l'interruption des activités de drainage précédemment liées à la construction de nouvelles tranches sur le site).

  • Dans la zone plus particulièrement visée par l'étude, 32 des 43 tranchées explorées sont périodiquement ou continuellement inondées.
  • Dans cette zone, la nappe phréatique supérieure non isolée est partout contaminée par 90Sr jusqu'à des niveaux dépassant 4 Bq/l. Le césium et le plutonium sont moins mobiles et la contamination à partir de ces éléments est limitée au voisinage immédiat des tranchées d'évacuation.
  • La mobilité relative de 90Sr est particulièrement importante, en ce sens qu'à partir des tranchées les plus proches, cet élément pourrait gagner la Pripiat en l'espace de 10 à 20 ans.

Il subsiste manifestement de grandes incertitudes qui exigent un effort de caractérisation d'une ampleur correspondante. Par exemple, à l'heure actuelle, la plupart des sites d'évacuation de déchets n'ont pas été explorés et quelques-uns d'entre eux ne sont pas portés sur les cartes ; la surveillance du mouvement des eaux souterraines est insuffisante et l'interprétation du régime hydrologique se trouve compliquée par des facteurs artificiels (pompage, mesures d'atténuation des conséquences, etc.) ; les mécanismes de lixiviation des radionucléides à partir de toute la gamme de petites particules enfouies ne sont pas bien compris, mais sont en cours d'étude.

L'idée avait été émise que la dissémination des radioéléments pourrait s'étendre jusqu'à la Pripiat et en aval jusqu'à la Mer noire, mais ce phénomène ne s'est pas produit. Les radionucléides ont été retenus efficacement dans les sols et les sédiments de cours d'eau à proximité du site de la centrale (voir chapitre II).

En résumé

Le sarcophage n'a jamais été destiné à apporter une solution permanente au problème du confinement du réacteur accidenté. Il s'ensuit que cette solution temporaire risque fort d'être instable à long terme. Autrement dit, il y a une possibilité d'effondrement qui doit être corrigée par une solution technique permanente.

Les opérations de reprise sous contrôle de l'accident et d'assainissement ont produit de très grandes quantités de déchets radioactifs et d'équipements contaminés, qui sont actuellement stockés sur 800 sites environ à l'intérieur et à l'extérieur de la zone d'exclusion d'un rayon de 30 km autour du réacteur. Ces déchets sont en partie conservés dans des conteneurs et en partie enfouis dans des tranchées ou stockés en plein air.

En général, on a estimé que le sarcophage et la prolifération des sites de stockage de déchets dans la zone constituent une série de sources potentielles de libération de radioactivité qui menaçe la zone avoisinante. Cependant, il est vraisemblable que les rejets accidentels susceptibles de se produire à partir du sarcophage seront très faibles par rapport à ceux imputables à l'accident de Tchernobyl en 1986 et que leurs conséquences radiologiques seront limitées à une zone relativement restreinte autour du site. En ce qui concerne les déchets radioactifs stockés dans la zone entourant le site, ils constituent une source potentielle de contamination des eaux souterraines qui demandera une surveillance attentive jusqu'à ce que ces déchets puissent être évacués de façon sûre dans un dépôt approprié. Toutefois, les radionucléides n'ont pas migré aussi loin du site qu'il avait été prévu à une certaine époque.

Des initiatives ont désormais été lancées au plan international en vue d'étudier une solution technique qui permettrait d'éliminer ces sources de risques résiduels sur le site. Ce point sera développé dans le chapitre suivant.