Tchernobyl: Évaluation de l’impact radiologique et sanitaire
Mise à jour 2002 de Tchernobyl : Dix ans déjà

Synthèse

Le 26 avril 1986, la centrale nucléaire de Tchernobyl, située en Ukraine à une vingtaine de kilomètres au sud de la frontière avec le Bélarus, a subi un accident majeur qui a été suivi d'un rejet prolongé de grandes quantités de substances radioactives dans l'atmosphère. Les caractéristiques spécifiques de ce rejet ont favorisé une large dispersion de la radioactivité dans tout l'hémisphère nord, principalement à travers l'Europe. Les variations intervenues, pendant la période de rejet, dans les conditions météorologiques et le régime des vents ont contribué à ce phénomène. L'activité transportée par les multiples panaches provenant de Tchernobyl a été mesurée non seulement en Europe septentrionale et méridionale, mais aussi au Canada, au Japon et aux États-Unis. Seul l'hémisphère sud est demeuré à l'abri de la contamination.

Cet accident a eu de graves conséquences radiologiques, sanitaires et socio-économiques pour les populations du Bélarus, de l'Ukraine et de la Russie, qui se ressentent encore de ces conséquences. Bien que les incidences radiologiques de l'accident dans d'autres pays aient été en général très faibles, voire insignifiantes en dehors de l'Europe, cet événement a toutefois eu pour effet de renforcer les craintes du public dans l'ensemble du monde au sujet des risques liés à l'utilisation de l'énergie nucléaire.

Telle est l'une des raisons expliquant l'attention et les efforts soutenus que les autorités publiques et les responsables de l'industrie nucléaire ont consacrés, au cours des seize dernières années, aux études sur la sûreté des réacteurs et aux plans d'intervention en cas d'urgence. Cela montre également l'intérêt constant de l'opinion publique pour la situation à Tchernobyl qui, s'il était déjà grand dix ans après l'accident, n'a toujours pas fléchi six ans plus tard. Dans quelques pays, certains aspects de cet accident, tels que la progression des cancers de la thyroïde, sont débattus encore plus fréquemment qu'auparavant au sein d'une partie de la population.

Il apparaît donc que le moment est venu de faire le point de nos connaissances sur les aspects graves des incidences de l'accident, de dresser le bilan des informations accumulées et des études scientifiques en cours, notamment le rapport UNSCEAR 2000, les documents publiés par l'AIEA, etc., et d'évaluer jusqu'à quel point les autorités nationales et les experts ont mis en application les nombreux enseignements qui se sont dégagés de l'accident de Tchernobyl.

En outre, depuis la publication du dernier rapport, toutes les tranches du réacteur de Tchernobyl ont été arrêtées.

Ce nouveau rapport, qui a été établi pour le Comité de protection radiologique et de santé publique (CRPPH) de l'Agence de l'OCDE pour l'énergie nucléaire, ne diffère pas du précédent quant à la description de l'accident, mais présente de nouvelles données sur l'état de santé de la population et porte une nouvelle appréciation sur la contamination de l'environnement.

L'accident

La tranche 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl devait être arrêtée pour des opérations courantes de maintenance le 25 avril 1986. À cette occasion, il a été décidé de procéder à un essai visant à déterminer l'aptitude des équipements de la centrale à fournir suffisamment d'énergie électrique pour faire fonctionner le système de refroidissement du coeur du réacteur et les dispositifs de secours pendant la période de transition entre une perte d'alimentation électrique générale de la centrale et la mise en route de l'alimentation électrique de secours par les groupes diesel.

Malheureusement, cet essai, qui était censé s'appliquer essentiellement à la partie non nucléaire de la centrale, a été effectué sans qu'un échange d'informations et une coordination appropriés se soient instaurés entre l'équipe responsable de l'essai et le personnel chargé de l'exploitation et de la sûreté du réacteur nucléaire. C'est pourquoi, les précautions en matière de sécurité prévues dans le programme d'essai étaient insuffisantes et le personnel d'exploitation n'a pas été alerté des conséquences, pour la sûreté nucléaire, de l'essai sur l'alimentation électrique et de son danger potentiel.

L'absence de coordination et de sensibilisation découlant d'un niveau insuffisant de  »culture de sûreté  »au sein du personnel de la centrale a amené les opérateurs à effectuer un certain nombre d'interventions qui s'écartaient des procédures de sécurité établies et a conduit à une situation potentiellement dangereuse. L'effet de cette série d'interventions a été amplifié par l'existence d'imperfections notables dans la conception du réacteur, qui ont rendu la centrale potentiellement instable et particulièrement vulnérable à une perte de contrôle en cas d'erreur opérationnelle.

L'association de ces facteurs a provoqué un à-coup de puissance brusque et incontrôlable, qui a entraîné de violentes explosions et la destruction quasi totale du réacteur. Les conséquences de cet événement catastrophique ont encore été aggravées par le feu du modérateur en graphite et les autres incendies de substances diverses qui se sont déclarés dans le bâtiment et qui ont contribué à un rejet généralisé et prolongé de matières radioactives dans l'environnement.

La dispersion et le dépôt de radionucléides

Le rejet de matières radioactives dans l'atmosphère se composait de gaz, d'aérosols et de particules de combustible nucléaire finement fragmentées. Ce rejet a été extrêmement important du point de vue quantitatif, mettant en jeu une fraction notable de l'inventaire de produits radioactifs présents dans le réacteur, et sa durée a été étonnamment longue, puisqu'il s'est prolongé pendant une dizaine de jours, avec des débits variables. Cette durée et l'altitude élevée (1 000 m environ) atteinte par le rejet étaient pour une grande part imputables au feu de graphite qu'il a été très difficile d'éteindre jusqu'au dixième jour ; à ce moment-là, les rejets ont brusquement diminué, ce qui a marqué la fin de la période d'émission intense.

Pour ces raisons et vu les fréquents changements concomitants de direction du vent pendant la période de rejet, la zone touchée par le panache radioactif et par le dépôt consécutif de substances radioactives sur le sol a été extrêmement étendue, englobant tout l'hémisphère nord, encore que seule une partie de l'Europe, en dehors de l'ex-URSS, ait subi une contamination importante.

La répartition de la contamination au sol et dans les chaînes alimentaires a toutefois été très irrégulière dans certaines zones, en raison de l'influence exercée par les précipitations pendant le passage du panache. Cette irrégularité dans la répartition du dépôt a été particulièrement marquée à de plus grandes distances du site du réacteur.

Depuis la publication du dernier rapport, nous avons une meilleure vision du comportement des radionucléides dans les zones contaminées et nous savons maintenant que les processus de décontamination naturelle ont atteint un état d'équilibre dans l'environnement. Désormais, la diminution des niveaux de contamination résultera principalement de la décroissance radioactive, ce qui donne à penser que le césium radioactif sera présent pendant environ 300 ans.

Réactions des autorités nationales

L'ampleur et la gravité de l'accident de Tchernobyl n'avaient pas été pré-vues et ont pris au dépourvu la plupart des autorités nationales chargées de la santé publique et des plans d'intervention en cas d'urgence. Les critères et pro-cédures d'intervention en vigueur dans la plupart des pays ne permettaient pas de faire face à un accident de cette ampleur et n'ont guère contribué au proces-sus de décision concernant le choix et l'adoption de mesures de protection. En outre, au cours de la phase initiale de l'accident, on disposait de peu d'informa-tions et les décideurs étaient soumis à des pressions politiques considérables, fondées en partie sur l'idée que le public se faisait des dangers des rayonnements.

Dans ces conditions, il a été jugé nécessaire de mener dans l'immédiat une action prudente et, dans de nombreux cas, les mesures adoptées ont eu tendance à pécher, parfois de façon excessive, par prudence plutôt qu'à être dictées par un jugement scientifique éclairé d'expert.

Sur le territoire de l'ex-URSS, les contre-mesures à court terme ont été de très grande envergure et se sont révélées en général plutôt opportunes et efficaces. Cependant, des difficultés ont surgi lorsque les autorités ont cherché à définir des critères pour la gestion à long terme des zones contaminées et le relogement consécutif de grands groupes de population. Diverses démarches ont été proposées et différents critères ont été appliqués au cours des années. En fin de compte, on a adopté, pour le relogement ou le déplacement de la population des zones contaminées, des critères faisant intervenir aussi bien des prescriptions en matière de radioprotection que des considérations économiques liées à l'indemnisation, ce qui a été et demeure une source de confusion et d'abus possibles.

La propagation progressive de la contamination à de grandes distances du lieu de l'accident a suscité des préoccupations considérables dans de nombreux pays extérieurs à l'ex-URSS et, face à cette situation, les réactions des autorités nationales ont été extrêmement diverses, allant d'une simple intensification des programmes normaux de surveillance de l'environnement, sans qu'aucune contre--mesure spécifique ne soit adoptée, à des restrictions obligatoires concernant la commercialisation et la consommation de denrées alimentaires.

Indépendamment des différences objectives, d'un pays à l'autre, dans les niveaux de contamination, les dispositifs réglementaires et les systèmes de santé publique, l'une des principales raisons de la diversité des situations suivant les pays découle des critères différents adoptés pour le choix et l'application des niveaux d'intervention afférents à la mise en oeuvre des mesures de protection. Ces divergences, qui étaient parfois imputables à une interprétation erronée et à une utilisation abusive des recommandations internationales en matière de radioprotection, notamment dans le cas de la contamination des denrées alimentaires, ont été encore accentuées par le rôle prépondérant joué dans de nombreux cas par des facteurs non radiologiques, en particulier d'ordre socio--économique, politique et psychologique, dans la détermination des contre-mesures.

Cette situation a suscité des préoccupations et une confusion au sein de la population, de la perplexité chez les experts et des difficultés pour les autorités nationales, notamment en ce qui concerne leur crédibilité aux yeux du public, ainsi qu'un gaspillage d'efforts et des pertes économiques superflues. Ces problèmes ont été surtout ressentis dans les zones proches des frontières internationales en raison des réactions différentes des autorités et des médias dans les pays limitrophes. Cependant, on n'a pas tardé à considérer qu'il s'agissait là d'un domaine dans lequel il conviendrait de tirer plusieurs enseignements de l'accident. Aussi des efforts ont-ils été entrepris au plan international en vue d'harmoniser les critères et les démarches applicables à la gestion des situations d'urgence.

Estimation des doses d'irradiation

La plus grande partie de la population de l'hémisphère nord a été exposée, à divers degrés, aux rayonnements découlant de l'accident de Tchernobyl. Après plusieurs années passées à recueillir des données dosimétriques auprès de toutes les sources disponibles et à effectuer des calculs de reconstitution des doses à partir de données et de modèles mathématiques relatifs à la contamination de l'environnement, il est désormais possible de parvenir à une évaluation raisonnable des fourchettes de doses reçues par les divers groupes de population touchés par l'accident ; il reste toutefois qu'elles ne sont pas extrêmement précises.

Les doses donnant matière à préoccupation sont principalement les doses à la thyroïde parmi la population d'enfants et de nourrissons au moment de l'accident, celles-ci étant dues à l'irradiation externe et provenant de l'inhalation et de l'ingestion d'isotopes radioactifs de l'iode (131I et radio-nucléides à courte période), et les doses à l'organisme entier, imputables à l'irradiation externe par suite de l'ingestion d'isotopes radioactifs du césium (134Cs et 137Cs). Selon les estimations les plus largement admises, la situation des différents groupes exposés se présente comme suit :

  • Les personnes évacuées – Plus de 100 000 personnes ont été évacuées, principalement de la zone de 30 km de rayon autour du site du réacteur, au cours des toutes premières semaines qui ont suivi l'accident. Ces personnes ont reçu des doses élevées au niveau tant de l'organisme entier que de la thyroïde. Toutefois, la distribution de ces doses variait sensiblement de l'une à l'autre, selon leur position autour du site du réacteur et les délais dans lesquels elles ont été évacuées.

    D'après les estimations, des doses à la thyroïde allant de 70 millisieverts [mSv] chez les adultes à environ 1 000 mSv (1 sievert) chez les jeunes enfants et une dose individuelle moyenne de 15 mSv à l'organisme entier ont été reçues par cette population avant son évacuation. Après leur évacuation de la zone de 30 km, bon nombre de ces personnes ont continué d'être exposées, bien qu'à un moindre degré, suivant les endroits où elles ont été relogées.

  • Les « liquidateurs  » – Des centaines de milliers de travailleurs, dont le nombre est évalué à 600 000 et parmi lesquels se trouvaient de très nombreux militaires, ont participé aux interventions d'urgence sur le site pendant l'accident, puis aux opérations ultérieures d'assainissement qui ont duré quelques années. Ces travailleurs ont été dénommés « liquidateurs  ».

    Un nombre restreint d'entre eux, de l'ordre de 400, y compris des membres du personnel de la centrale, des pompiers et des membres des équipes d'assistance médicale, qui étaient sur le site pendant l'accident et sitôt après, ont reçu des doses très élevées à partir de diverses sources et voies d'exposition. C'est à ce groupe qu'ap-partiennent toutes les personnes qui ont été atteintes du syndrome d'irradiation aiguë et qui ont nécessité un traitement médical d'urgence. Elles ont reçu, par irradiation externe, des doses allant de quelques grays à nettement plus de 10 grays au niveau de l'organisme entier et des doses par irradiation interne comparables, voire plus élevées, en particulier au niveau de la thyroïde, du fait de l'incorporation de radionucléides. Un certain nombre de chercheurs, qui ont procédé périodiquement à des interventions techniques à l'intérieur de la zone du réacteur détruit pendant plusieurs années, ont accumulé au fil du temps des doses du même ordre de grandeur.

    Le groupe le plus important de « liquidateurs  »a participé aux opérations d'assainissement pendant des durées variables plusieurs années après l'accident. Même si ceux-ci n'exerçaient plus leurs activités dans des conditions d'urgence et étaient soumis à des contrôles et à des limitations de dose, ils ont été exposés à des doses élevées comprises entre quelques dizaines et quelques centaines de millisieverts.

  • Les habitants des zones contaminées de l'ex-URSS – Près de 270 000 personnes habitent toujours dans des zones contaminées, où les niveaux de dépôt de césium radioactif dépassent 555 kilobecquerels par mètre carré [kBq/m2] et où l'application de mesures de radioprotection continue d'être nécessaire. Les doses à la thyroïde, principalement imputables à la consommation de lait de vache contaminé par l'iode radioactif, ont été reçues pendant les toutes premières semaines suivant l'accident ; les enfants de la région de Gomel (Bélarus) semblent avoir reçu les plus fortes doses à la thyroïde, celles-ci étant comprises entre des niveaux négligeables et 40 sieverts et s'établissant en moyenne à 1 sievert environ pour les enfants de 0 à 7 ans. En raison du contrôle des denrées alimentaires dans ces zones, la plus grande partie de la radioexposition depuis l'été 1986 est due à l'irradiation externe provenant de l'activité du césium radioactif déposée sur le sol ; les doses à l'organisme entier pendant la période 1986-89 sont, selon les estimations, comprises entre 5 et 250 mSv, la moyenne étant de 40 mSv.

  • Les populations à l'extérieur de l'ex-URSS – Les matières radioactives de nature volatile (telles que l'iode et le césium) qui ont été libérées au cours de l'accident se sont disséminées dans tout l'hémisphère nord. Les doses reçues par les populations à l'extérieur de l'ex-URSS sont relativement faibles et laissent apparaître de grandes différences d'un pays à l'autre, selon notamment que des précipitations se sont ou non produites pendant le passage du nuage radioactif. Ces doses se situent dans une fourchette dont la limite inférieure s'établit entre quelques microsieverts ou quelques dizaines de microsieverts en dehors de l'Europe et la limite supérieure à 1 ou 2 mSv dans des zones spécifiques de certains pays européens.

Incidences sur la santé

Les incidences de l'accident de Tchernobyl sur la santé peuvent être décrites en termes d'effets aigus (décès, atteintes graves à la santé) et d'effets tardifs (cancers), auxquels s'ajoutent les effets socio/psychologiques susceptibles de nuire à la santé.

Les effets aigus se sont produits parmi les membres du personnel de la centrale et les personnes qui ont été appelés, pendant la phase d'urgence, à lutter contre les incendies, à fournir une assistance médicale et à procéder dans l'immédiat aux opérations d'assainissement. Au total, 31 personnes sont décédées par suite de l'accident et de l'ordre de 140 personnes ont souffert, à des degrés divers, d'un syndrome d'irradiation et d'atteintes graves à la santé liées aux rayonnements. Aucune personne du public n'a subi ces types d'effets.

En ce qui concerne les effets tardifs, à savoir l'augmentation possible de la fréquence des cancers, il y a eu, depuis la survenue de l'accident, une progression réelle et importante des carcinomes de la thyroïde parmi la population de nourrissons et d'enfants ayant été exposés lors de l'accident dans les régions contaminées de l'ex--URSS. Sauf preuve du contraire, cette progression devrait être attribuée à l'accident. Il se pourrait également que le nombre de cas de cancers de la thyroïde augmente chez les habitants adultes de ces régions. La tendance observée dans cette progression des cancers de la thyroïde laisse penser que celle-ci n'a pas encore atteint son point maximal et que la fréquence de ce type de cancer continuera pendant un certain temps à être excédentaire par rapport à son taux d'apparition naturelle dans la région.

En revanche, l'observation scientifique et médicale de la population touchée n'a révélé à ce jour aucune progression significative en ce qui concerne les autres types de cancers, ainsi que les leucémies, les malformations congénitales, les avortements spontanés (fausses couches) ou toute autre affection induite par les rayonnements qui puisse être imputée à l'accident de Tchernobyl. Cette remarque s'applique à l'ensemble de la population, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'ex-URSS. D'importants programmes de recherche scientifique et épidémiologique, dont certains patronnés par des organisations internationales telles que l'OMS et la CE, sont menés en vue d'obtenir de nouvelles indications au sujet des effets futurs possibles sur la santé. Toutefois, les estimations de doses à la population généralement admises tendent à montrer qu'à l'exception des affections thyroïdiennes, il est peu probable que l'exposition entraîne, dans l'ensemble de la population, des effets radiologiques discernables et plus importants que ceux imputables à la fréquence naturelle de ces mêmes affections. Dans le cas des  »liqui-dateurs  », on n'a pas relevé à ce jour d'augmentation de la fréquence des cancers, mais un suivi spécifique et précis de ce groupe particulier permettrait de mieux mettre en évidence une tendance ascendante, si elle venait à se produire.

Un effet notable de l'accident, qui n'est pas sans incidence sur la santé, tient à l'apparition d'un état généralisé de stress psychologique dans les populations touchées. La gravité de ce phénomène, qui est surtout observé dans les régions contaminées de l'ex-URSS, paraît refléter les craintes du public au sujet des inconnues liées aux rayonnements et à leurs effets, ainsi que sa méfiance à l'égard des autorités publiques et des experts officiels. Elle a certainement été accentuée par le bouleversement intervenu dans les réseaux sociaux et les modes de vie traditionnels du fait de l'accident et ses conséquences à long terme.

Ces effets associés à l'accident ont entraîné une dégradation générale de l'état de santé de la population vivant dans les territoires contaminés. Les affections qui ont été observées ne sont pas typiquement liées à l'exposition aux rayonnements. Il conviendrait de poursuivre l'étude de ces effets.

Incidences sur l'agriculture et l'environnement

Les incidences de l'accident sur les pratiques agricoles, la production de denrées alimentaires, leur utilisation et d'autres aspects de l'environnement ont été et continuent à être beaucoup plus répandues que les incidences directes sur la santé de l'homme.

Plusieurs techniques de traitement et de décontamination des sols ont été expérimentées en vue de réduire l'accumulation de radioactivité dans les produits agricoles et dans le lait et la viande d'origine bovine ; celles-ci ont donné parfois des résultats positifs. Néanmoins, à l'intérieur de l'ex-URSS, l'utilisation de grandes superficies de terres agricoles est toujours interdite et le sera encore vraisemblablement pendant longtemps. Dans une zone beaucoup plus étendue, bien que des activités de production agricole et laitière continuent à être exercées, les denrées alimentaires produites sont soumises à des contrôles rigoureux et des restrictions sont imposées à leur commercialisation et leur utilisation.

Bien que les niveaux de contamination aient eu tendance à diminuer pendant un certain temps après l'accident, il apparaît de plus en plus qu'un équilibre écologique a été atteint. Tel est notamment le cas pour les zones de forêt. La baisse de la contamination semble désormais suivre la période de décroissance radioactive du césium 137, dont la demi-vie est de 30 ans. Si cette tendance se maintenait, une contamination mesurable devrait persister dans ces zones pendant environ 10 demi-vies, soit 300 ans.

Des problèmes analogues de contrôle et de limitation de l'utilisation de la production, encore que beaucoup moins graves, sont apparus dans certains pays d'Europe extérieurs à l'ex-URSS, où les produits de l'agriculture et ceux provenant des animaux d'élevage ont été soumis à des restrictions pendant des durées variables à la suite de l'accident. Ces restrictions ont, pour la plupart, été levées il y a quelque temps. Cependant, il subsiste actuellement certaines régions d'Europe où des restrictions sont encore imposées à l'abattage et à la commercialisation d'animaux. Cette remarque s'applique, par exemple, à plusieurs centaines de milliers de moutons au Royaume-Uni et à un très grand nombre de moutons et de rennes dans certains pays nordiques.

La forêt constitue un environnement particulier qui soulève encore des problèmes. Compte tenu du fort caractère filtrant des arbres, le dépôt a souvent été plus important dans les forêts que dans d'autres zones. Un cas extrême est celui de la  »forêt rousse  »à proximité du site de Tchernobyl, où l'irradiation a été si intense qu'elle a tué les arbres, qui ont dû être détruits en tant que déchets radioactifs. D'un point de vue plus général, les forêts étant une source de bois, de gibier sauvage, de baies et de champignons, ainsi qu'un lieu de travail et de loisirs, elles continuent à susciter des préoccupations dans certaines zones et constitueront probablement un problème radiologique pendant longtemps encore.

Des plans d'eau tels que les cours d'eau, les lacs et les bassins de retenue peuvent, s'ils sont contaminés, représenter une source importante de radio-exposition pour l'homme du fait qu'ils sont utilisés à des fins de loisirs, d'alimentation en eau de boisson et de pêche. Dans le cas de l'accident de Tchernobyl, ce segment de l'environnement n'a pas contribué de façon notable à la radioexposition totale de la population. Selon les estimations, la composante des doses individuelles et collectives qui peut être attribuée aux plans d'eau et à leurs produits ne dépasse pas un ou deux pour cent de l'exposition totale imputable à l'accident. Depuis que celui-ci est survenu, on a constaté que la contamination du circuit d'alimentation en eau n'avait pas soulevé de problème pour la santé publique au cours de la dernière décennie. Néanmoins, compte tenu des grandes quantités de radioactivité déposée dans la zone de collecte des eaux du réseau de plans d'eau dans les régions contaminées autour de Tchernobyl, une surveillance attentive continuera à s'imposer longtemps, afin de veiller à ce que le lessivage à partir de cette zone de collecte ne contamine pas les ressources en eau potable.

À l'extérieur de l'ex-URSS, il n'y a jamais eu lieu de se préoccuper des niveaux de radioactivité dans l'eau de boisson. En revanche, dans le cas de certains lacs, notamment en Suisse et dans les pays nordiques, il a fallu imposer des restrictions à la consommation de poissons. Ces restrictions sont toujours en vigueur, par exemple, en Suède où, dans des milliers de lacs, la teneur en radioactivité des poissons demeure supérieure aux limites fixées par les autorités pour la vente sur le marché.

Risques résiduels potentiels

Dans les sept mois qui ont suivi l'accident, le réacteur détruit a été enfermé dans une structure massive en béton, couramment dénommée le  »sarcophage  ». L'objectif était d'assurer une certaine forme de confinement du combustible nucléaire endommagé et des équipements détruits, ainsi que de réduire la probabilité de nouveaux rejets de radioactivité dans l'environnement. Cependant, cette structure n'a pas été conçue comme une enceinte de confinement permanente, mais plutôt comme une barrière provisoire dans l'attente de la définition d'une solution plus radicale pour l'élimination du réacteur détruit et pour l'évacuation des matières hautement radioactives dans des conditions sûres.

Plusieurs années après sa construction, la structure du sarcophage, encore qu'elle demeure généralement solide, suscite des préoccupations quant à sa résistance à long terme et représente un risque potentiel permanent. Le toit de la structure, en particulier, présente depuis longtemps de nombreuses fissures, d'où une altération de son étanchéité et la pénétration de grandes quantités d'eau de pluie, maintenant fortement radioactive. Cette situation entraîne une forte humidité qui fait rouiller les structures métalliques porteuses du sarcophage. En outre, certaines structures massives en béton, endommagées ou déplacées par l'explosion du réacteur, sont instables et leur rupture, par suite d'une nouvelle dégradation ou d'événements d'origine externe, pourrait provoquer un effondrement du toit et d'une partie du bâtiment.

Selon diverses analyses, plusieurs scénarios d'accident pourraient être envisagés. Parmi ceux-ci figurent : (1) une excursion de criticité due à un changement de configuration des masses de combustible nucléaire fondues en présence de fuites d'eau venant du toit, (2) une remise en suspension des poussières radioactives provoquée par l'effondrement de l'enveloppe et (3) la migration à long terme des radionucléides de l'enveloppe dans les eaux souterraines. Les deux premiers scénarios d'accident entraîneraient la libération de radionucléides dans l'atmosphère qui produirait une nouvelle contamination de la zone située dans un rayon de plusieurs dizaines de kilomètres autour du site. Toutefois, on ne s'attend pas à ce que de tels accidents puissent avoir des conséquences radiologiques graves à de plus grandes distances.

En ce qui concerne la lixiviation des radionucléides à partir des masses de combustible par l'eau contenue dans l'enveloppe et leur migration dans les eaux souterraines, ce phénomène devrait être très lent et l'on a estimé que, par exemple, il faudrait de 45 à 90 ans à certains radionucléides tels que 90Sr pour migrer en profondeur jusqu'à la zone de collecte des eaux de la Pripiat. On ne peut se prononcer avec assurance sur l'importance radiologique possible de ce phénomène et il sera indispensable de surveiller attentivement, pendant longtemps encore, l'évolution de la contamination des eaux souterraines.

Les opérations de reprise sous contrôle de l'accident et d'assainissement ont produit de très grandes quantités de déchets radioactifs et d'équipements contaminés, qui sont actuellement stockés sur 800 sites environ à l'intérieur et à l'extérieur de la zone d'exclusion d'un rayon de 30 km autour du réacteur. Ces déchets et équipements sont en partie enfouis dans des tranchées et en partie conservés dans des conteneurs isolés des eaux souterraines par des écrans en argile ou en béton. De très nombreux équipements, machines et véhicules contaminés sont également stockés en plein air.

Tous ces déchets représentent une source potentielle de contamination des eaux souterraines qui nécessitera une surveillance étroite jusqu'à ce qu'ils puissent être évacués de façon sûre dans un dépôt approprié.

D'une manière générale, on peut en conclure que le sarcophage et la multiplicité des sites de stockage de déchets dans la zone constituent une série de sources potentielles de libération de radioactivité qui menace la zone avoisinante. Cependant, il est vraisemblable que les rejets susceptibles d'en émaner seront très faibles par rapport à ceux imputables à l'accident de Tchernobyl en 1986 et que leurs conséquences seront limitées à une zone relativement restreinte autour du site.

En tout état de cause, des initiatives ont été lancées au plan international en vue d'étudier une solution technique qui permettrait d'éliminer ces sources de risques résiduels sur le site.

Enseignements tirés de l'accident

L'accident de Tchernobyl a été de caractère très spécifique et ne devrait pas être considéré comme un accident de référence pour la planification future des mesures d'urgence. Il est toutefois apparu très clairement, d'après les réactions des autorités publiques des divers pays, que celles-ci n'étaient pas prêtes à faire face à un accident d'une telle ampleur et que la planification et la préparation des mesures d'urgence présentaient des lacunes au niveau technique et/ou institutionnel dans presque tous les pays.

Les enseignements susceptibles d'être tirés de l'accident de Tchernobyl sont donc nombreux et s'étendent à tous les domaines, comprenant la sûreté des réacteurs, la gestion des accidents graves, les critères d'intervention, les procédures d'urgence, la communication, le traitement médical des personnes irradiées, les méthodes de surveillance, les processus radio-écologiques, la gestion des sols et de l'agriculture, l'information du public, etc.

Cependant, le principal enseignement a probablement été de comprendre qu'un accident nucléaire majeur a inévitablement des répercussions trans-frontalières et que ses conséquences sont susceptibles d'affecter, directement ou indirectement, de nombreux pays situés même à grande distance du lieu de l'accident. Il s'ensuit qu'un effort extraordinaire a été déployé en vue d'élargir et de renforcer la coopération internationale dans des domaines tels que la communication, l'harmonisation des critères de gestion des situations d'urgence et la coordination des mesures de protection. Depuis que l'accident est survenu, de grandes améliorations ont été introduites et d'importants mécanismes internationaux de coopération et d'information ont été mis en place. Il faut citer à cet égard les conventions internationales sur la notification rapide d'un accident nucléaire et sur l'assistance en cas de situation d'urgence radiologique, établies par l'AIEA et la CE, le programme d'exercices internationaux d'application des plans d'urgence en cas d'accident nucléaire (INEX), créé par l'AEN, l'échelle internationale des événements nucléaires (INES), développée par l'AIEA et l'AEN, et l'Accord international sur la contamination des denrées alimentaires, mis en place par la FAO et l'OMS.

Au niveau national, l'accident de Tchernobyl a aussi incité les autorités et les experts à réviser radicalement leur connaissance des questions liées à la radioprotection et aux situations d'urgence nucléaire, de même que leur attitude en la matière. De nombreux pays ont ainsi été amenés à renforcer le dispositif existant de plans d'urgence locaux applicables aux diverses installations nucléaires par des plans d'urgence à l'échelle nationale. Dans le domaine scientifique et technique, outre qu'il a donné une impulsion nouvelle aux recherches sur la sûreté nucléaire, notamment en ce qui concerne la gestion des accidents nucléaires graves, ce nouveau climat a suscité un regain d'efforts en vue de parfaire les connaissances relatives aux effets nocifs des rayonnements et à leur traitement médical et de revivifier les programmes de recherche radioécologique et de surveillance de l'environnement. Des améliorations notables ont aussi été apportées à la définition de critères et de méthodes d'information du public, aspect dont l'importance a été particulièrement évidente pendant et après l'accident.

Un autre enseignement revêtant de l'importance pour l'action gouvernementale concerne la remise en état des terres contaminées. Ainsi qu'il a été indiqué précédemment, la contamination, en particulier des environ-nements forestiers, tend à atteindre un équilibre écologique. On présumait auparavant que les niveaux de contamination baisseraient sous l'action des processus d'élimination naturels mais, dans l'ensemble, il n'en a pas été ainsi, de sorte que les décideurs devront faire face à ces problèmes pendant des périodes plus longues que prévu initialement.

La persistance de la contamination a montré combien il importait d'associer les parties prenantes à l'élaboration de stratégies concernant la vie dans les territoires contaminés. L'enseignement qui s'en dégage pour l'action gouvernementale est que les parties prenantes, qu'elles soient locales, régionales, nationales ou internationales, doivent être associées, au niveau approprié, aux processus de décision si l'on veut faire accepter des stratégies applicables à la vie en présence de contamination. Ces stratégies devront être durables et évoluer parallèlement aux conditions locales.

Conclusion

L'histoire du monde industriel moderne a été marquée à de nombreuses occasions par des catastrophes comparables à celle de Tchernobyl, voire plus graves. Néanmoins, cet accident, en raison certes de sa gravité, mais surtout de la présence de rayonnements ionisants, a eu des répercussions importantes sur la société.

Outre les incidences graves sur la santé et les dommages physiques, industriels et économiques que cet accident a engendrés à court terme, ses conséquences à long terme, s'agissant du bouleversement socio-économique, du stress psychologique et de l'image dégradée de l'énergie nucléaire, ne sont vraisemblablement pas près de s'effacer.

Cependant, la communauté internationale a témoigné d'une aptitude remarquable à appréhender et à apprécier à leur juste valeur les enseignements tirés de cet événement, de sorte qu'elle sera mieux à même de faire face avec suffisamment de souplesse aux défis futurs, de quelque nature qu'ils soient.

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